Les deux candidats incarnent deux projets diamétralement opposés qui ont engendré la polarisation la plus accentuée de l’histoire du pays, avec une tension sociale et politique et des interrogations sur le Brésil d’après ces élections.
Dans une interview à la MAP, l’expert brésilien en géopolitique et relations internationales, Marcus Vinicius de Freitas explique les fondements de cette rivalité entre les deux hommes que tout oppose et les orientations qu’adoptera le Brésil à la lumière des résultats de ce scrutin.
Le Senior Fellow au think thank Policy Center for the New South (PCNS) livre également sa lecture des programmes des deux principaux candidats et les enjeux des alliances scellées par Bolsonaro et Lula pour engranger le máximum de soutien à leurs projets pour le pays le plus peuplé d’Amérique Latine.
Comment voyez-vous les chances de Bolsonaro et Lula dans ces élections en fonction des alliances scellées, du déroulement de la campagne électorale et des résultats des sondages d’opinion ?
Beaucoup disent que les sondages sont comme des boîtes de chocolat. On ne sait jamais ce qu’on va trouver. Mais dans le cas de cette élection, les sondages ressemblent davantage à une boîte de Pandore. Le résultat ne sera pas des plus auspicieux. Et la raison en est que, dans cette élection, les urnes ne représentent pas un espoir. Deux mots peuvent résumer ce climat électoral : la haine et la peur. Le choix d’un candidat se fera par peur ou par haine de l’un ou de l’autre.
Les campagnes suivent le rythme normal. C’est un fait que Bolsonaro est beaucoup plus présent sur Internet et les réseaux sociaux, tandis que Lula parie sur la nostalgie à ses mandats présidentiels. Lula a également essayé d’étendre ses espaces sur Internet, mais il est encore timide par rapport à Bolsonaro.
Je crois toujours que, malgré la manière dont Bolsonaro a traité la question de la pandémie de Covid-19, il a encore une chance d’être réélu président. L’économie montre des signes de reprise et, de fait, il a pu présenter au pays les résultats de sa présidence. La grande critique de Bolsonaro est toujours plus liée à ce qu’il dit qu’à ce qu’il fait réellement.
Lula, quant à lui, présente une histoire improbable sur son innocence dans des affaires de corruption, ainsi que sur les années désastreuses de sa dauphine, Dilma Rousseff qui lui a succédé au pouvoir. Il propose de rééditer les politiques du passé et beaucoup craignent que lui – et aussi ceux qui le suivent – ne vienne avec un esprit de vengeance temporairement dissimulé sous le discours de la reconstruction de la démocratie brésilienne.
Le fait est que le scénario reste encore trouble. Lors de cette élection, il s’agira de répondre via les urnes à une question fondamentale : qu’est ce qui est plus inquiétant, la corruption ou le discours politique ?.
Quelle lecture faites-vous des programmes des deux candidats ?
Les programmes reprennent la structure des plans précédents. Lula a essentiellement l’intention de reprendre le programme classique qu’il a déployé par le passé, en adoptant un agenda plus social, avec une perspective plus progressiste, une reprise plus active du rôle de l’État dans l’économie, une reconsidération possible de l’autonomie de la Banque centrale et l’abandon du plafonnement des dépenses publiques.
Bolsonaro, en revanche, adopte une politique plus libérale, avec la privatisation des entreprises publiques et la réduction du rôle de l’État dans l’économie. Bolsonaro entend également établir un programme de valeurs sociales, en rétribution du grand soutien des évangéliques.
Quel rôle pourrait jouer Ciro Gomes pour départager les deux candidats dans le cadre de ce qu’on appelle le « vote utile », notamment en cas de second tour ?
Comme l’a déclaré le candidat Ciro Gomes (9% dans les sondages), il est peu probable qu’il soutienne l’un des deux candidats. Ses électeurs ont cependant tendance à se situer davantage à gauche de l’échiquier politique, ce qui devrait favoriser Lula.
Il me semble difficile de voir Ciro Gomes prendre position ou demander à ses électeurs de soutenir tel ou tel candidat, car il affirmait à chaque occasion qu’il n’est pas d’accord avec les deux candidats.
A quel Brésil devons-nous s’attendre en cas de victoire de l’un ou de l’autre durant les quatre prochaines années, particulièrement en matière de politique étrangère ?
Lula reprendra probablement la politique Sud-Sud des alliances mondiales, en plus de rechercher à renforcer le partenariat économique et stratégique avec la Chine. En raison de son background idéologique et de la conjoncture plus à gauche en Amérique latine, Lula devrait renforcer les alliances avec les pays sud-américains qui ont le même parti pris idéologique au plus haut sommet de pouvoir.
Bolsonaro tendra lui à maintenir la politique actuelle de confrontation avec les pays les plus à gauche, élargissant probablement la relation avec les pays les plus à droite qui ont acquis une plus grande prépondérance politique en Europe.
Il devrait également réformer le discours environnemental – ce qui impliquera un changement pertinent dans le scénario actuel de confrontation – et chercher à se rapprocher de la Chine, malgré le gap idéologique qui était très visible au début du mandat de Bolsonaro.
Comment voyez-vous les alliances des deux candidats, leur homogénéité et leur solidité ?
J’ai l’impression qu’un troisième gouvernement Lula sera beaucoup plus instable à cause d’un esprit revanchard chez la plupart de ses partisans. De plus, le facteur âge, un vice-président qui aspire à être président de la République, et le renforcement de la droite brésilienne dans les années Bolsonaro auront tendance à affaiblir le gouvernement ou au moins à le maintenir sous la loupe, compte tenu notamment de l’histoire de la corruption des gouvernements PT (Parti des travailleurs de Lula).
Lula cherchera certainement à consolider le soutien au Congrès et reprendra probablement les pratiques précédemment adoptées pour s’assurer une majorité au Parlement.
De son côté, Bolsonaro devrait maintenir la politique actuelle de contrôle au Congrès national, en maintenant la majorité obtenue grâce à son soutien aux initiatives des parlementaires. Il sera moins préoccupé par la question des tentatives de renversement du pouvoir, même si les manifestations devraient rester constantes contre le gouvernement, en particulier en cas de défaite du PT.
Les majorités au Congrès sont obtenues grâce à un soutien économique aux initiatives des députés et des sénateurs. Quelle que soit la couleur gouvernementale, et vu la particularité du système politique brésilien, la construction des majorités se fera par la même méthode politique.