De surcroît, le rapprochement tout récent de l’Arabie saoudite avec les frères ennemis du Qatar ne présage rien de bon pour l’équilibre politique du Machrek.
De cette désorganisation croissante et menaçante une seule réalité émerge clairement comme une alternative globale ; et cette réalité, c’est le royaume du Maroc. Crise économique : le Maroc la connaît à peine qui verra cet été un afflux sans précédent du tourisme, en partie détourné de ses lieux antérieurs de prédilection. Dépourvu de ressources en hydrocarbures, le Maroc n’a cessé, depuis les quinze dernières années, de tout miser sur le développement de son marché intérieur et sur l’investissement que lui permettait une épargne importante. À présent, l’entrée en pleine activité de la nouvelle conurbation du grand Tanger fournit à tout le nord du pays un poumon économique remarquable où se combinent projets innovateurs de tourisme et infrastructures portuaires capables d’engendrer un véritable développement industriel, notamment dans l’automobile.
Le développement politique a accompagné dans un strict parallélisme cette véritable dialectique de la survie. L’opinion publique a d’abord fourni par référendum au pouvoir royal les moyens de rester maître du jeu d’une démocratisation par ailleurs spectaculaire, et qui, il faut le préciser, avait auparavant franchi plusieurs étapes décisives. La principale d’entre elles aura bien sûr été, à l’avènement de Mohammed VI, l’instauration d’une véritable glasnost. On n’aurait pas pu imaginer sans cela l’atterrissage en douceur qui a caractérisé l’année 2012. Certes, les islamistes du Parti de la justice et du développement dirigent avec Benkirane le nouveau gouvernement. Mais il faut tout de même noter que des élections absolument transparentes ne leur ont conféré qu’un tiers des suffrages. Les deux autres tiers sont certes plus hétérogènes, au centre gauche et au centre droit, mais ils pourraient évidemment, en s’appuyant sur la royauté, faire échec à « cette révolution de la charia » que préparent plus ou moins discrètement les Frères musulmans au pouvoir en Égypte, en Tunisie, au Soudan ou de facto au Yémen, avant sans doute de les voir se déchaîner dans une Syrie explosée. Au Maroc, rien de tel : le climat traditionnel de tolérance religieuse, le dialogue non moins traditionnel instauré avec l’Europe et la fermeté face aux menaces terroristes n’ont en rien été altérés par la phase actuelle que traverse la révolution du monde arabe.
Mais, comme chacun sait, une bicyclette ne s’équilibre qu’à maintenir et à augmenter sa vitesse de progression. Ici, tout devrait pousser le Maroc à réaliser enfin cet objectif historique sans cesse repoussé à plus tard que représenterait une véritable réconciliation avec l’Algérie débouchant sur l’alliance des deux grands États.
Outre toutes les raisons de politique économique et intérieure que l’on devrait évoquer à la faveur d’une telle entreprise, une circonstance supplémentaire vient à présent justifier un tel bond en avant. La victoire d’al-Qaida et de ses alliés proches dans la partie septentrionale du Mali provoque, en effet, une situation inédite. Seuls le Maroc et l’Algérie ont les forces et la solidité historique nécessaires pour rétablir l’ordre dans l’Azawad, tout en donnant aux populations arabo-berbères qui y vivent le sentiment qu’elles ne seront plus jamais abandonnées.
La Marche verte, mouvement plus que légitime de récupération du territoire national par le Maroc, avait malheureusement créé les racines d’un long et stérile affrontement avec une Algérie encore étroitement nationaliste. La marche commune des armées marocaine et algérienne sur Tombouctou et Gao ne pourrait-elle pas rétablir la fraternité au Maghreb, tout en avertissant les forces de rupture venues du Machrek que l’Union du Maghreb est à présent en marche et qu’elle fera sentir sa détermination pour sauver la Tunisie et consolider la Libye ?