Un Premier ministre de la République à seulement 34 ans ? Un événement suffisamment inédit en France pour être souligné avec une certaine emphase. C’est ce à quoi la presse française s’est livrée avec une certaine jouissance. Les plus bienveillants ont salué le coup de maître de nommer le jeune, populaire et très talentueux Gabriel Attal pour remplacer une Élisabeth Borne critiquée, voire vilipendée. Les suspicieux se grattent la tête de doutes et d’interrogations.
En effet, à part le facteur âge qui frappe les imaginations, la vie de Gabriel Attal comme Premier ministre ne sera certainement pas un long fleuve tranquille. Et ce pour plusieurs raisons. La première est que les rapports de forces au sein de l’Assemblée nationale ne vont pas changer par un coup de baguette magique. L’absence d’une majorité absolue avait obligé le gouvernement Borne à subir le douloureux calvaire des 49.3. Cet article exceptionnel de la constitution qui permet au gouvernement de faire passer les lois sans discussion ni vote. Efficace pour gagner du temps mais coûteux sur le plan politique. Si Elisabeth Borne avait perdu tout son crédit, c’est parce qu’elle avait dégainé 23 fois l’article 49.3 au point de pousser l’ensemble de l’opposition à souhaiter son départ au plus vite.
La seconde raison qui va compliquer la vie de Gabriel Attal se trouve dans les multiples grincements de dents que sa nomination avait provoqué chez les poids lourds du gouvernement et de la majorité. Des hommes comme Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Bruno le Maire, ministre de l’Economie, qui se croyaient plus légitimes à occuper ce poste. Ils ont fait part de leurs réserves à Emmanuel Macron qui a passé outre. Mais cette opposition dès le départ laissera des traces. Ces amertumes se traduiront certainement sur le nouveau casting du gouvernement et sur la manière de limiter les périmètres à venir. Le risque est qu’il y ait plusieurs premiers ministrables qui cohabitent dans ce gouvernement avec comme arbitre au quotidien le président Macron.
Au niveau de la majorité, le choix de Gabriel Attal n’a pas été accueilli à bras ouvert. Deux pontes de cette majorité ont laissé filtrer leurs aigreurs et déceptions. François Bayrou, patron du Modem, le parti centriste, et Édouard Philippe, patron du parti Horizons. Le premier craint une marginalisation de son parti et la perte de sa qualité de « faiseur de premier ministre », son principal fonds de commerce politique. Le second voit ses rêves pour 2027 contrarier par cette nomination. Gabriel Attal ringardise Edouard Phillipe qui se préparait depuis son départ de Matignon à prendre la succession de Macron, empêché par la constitution de se présenter pour un troisième mandat.
Avec Gabriel Attal, une fois tombée la fièvre de la nouveauté, le risque de voir censurer son gouvernement est plus fort qu’il ne l’était avec Elisabeth Borne. La raison est que la majorité présidentielle est actuellement traversée par des intérêts et des agendas contradictoires qui peuvent se sentir menacés par l’installation de Gabriel Attal au sommet de la hiérarchie exécutif.
Une forme de bienveillance à droite, des critiques acerbes à gauche, la nomination de Gabriel Attal a fait dire à certains qu’Emmanuel Macron a nommé son clone à Matignon. Gabriel Attal prend aussi le sobriquet de « mini Macron ». Certains se sont amusés à traquer les mimétismes entre les deux personnalités dont les styles se confondent jusqu’à l’imitation. Pour certains, Gabriel Attal, qui avoue qu’il doit toute sa carrière à Emmanuel Macron, sera plus dans le statut « du collaborateur » décrit par un certain Nicolas Sarkozy à l’encontre de François Fillon, son Premier ministre, qu’une force de proposition automne et relativement indépendante.
Le risque qu’induit cette situation est qu’il sera plus difficile pour Gabriel Attal de prendre son envol, de se distinguer et exister comme une entité à part. Surtout que l’ambition ultime de Macron à travers cette nomination et la feuille de route qu’il lui a tracée, à savoir « réarmement » industriel, économique, européen mais aussi civique, a pour objectif d’empêcher l’extrême droite de Marine Le Pen et de Jordan Bardella d’accomplir les performances électorales promises avec insistance et que les sondages prédisent pour les élections européennes de juin prochain.