Charles Saint-Prot à Atlasinfo.fr: pas de stabilité dans la région sahélo-saharienne sans une implication du Maroc

Le Directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques (OEG)* de Paris, Charles Saint-Prot*, a analysé dans un entretien accordé en juillet dernier à Atlasinfo.fr la situation critique au nord Mali et dans la région sahélo-saharienne, et les risques d’un « sahelistan » qui, selon lui, serait pire que l’Afghanistan en raison de la proximité de ce territoire avec le Maghreb et les pays européens. Il a insisté sur la nécessité d’une implication du Maroc dans la recherche d’une solution eu égard à l’important capital de confiance dont jouit ce pays sur la scène régionale, comme sur la scène internationale. Pour cet expert, Alger s’est ingénié à écarter le Maroc de ce épineux dossier alors qu’il est naturellement un pays du champ puisqu’il a des centaines de kilomètres de frontières avec la Mauritanie.

Charles Saint-Prot à Atlasinfo.fr: pas de stabilité dans la région sahélo-saharienne sans une implication du Maroc
Atlasinfo: Entre Aqmi, Mujao, MNLA, la situation sécuritaire et l’intégrité du Mali sont des plus préoccupantes. Assiste-t-on à l’installation d’un Sahelistan?

Pr Charles Saint-Prot: Le ministre des Affaires étrangères français a récemment évoqué le risque de ce qu’il a appelé un « sahelistan », c’est-à-dire d’une zone où règnerait des groupes extrémistes. A vrai dire, cela serait pire que l’Afghanistan en raison de la proximité de ce territoire avec le Maghreb et les pays européens. Ce qui est clair aujourd’hui est l’extrême faiblesse du gouvernement malien qui ne peut contrôler son immense territoire en notamment au nord où il y a une situation de non-droit qui laisse le champ libre à la rébellion touarègue du MNLA, d’une part, et à l’agitation de groupes terroristes, AQMI et autres plus ou moins affiliés, d’autre part. La revendication touarègue n’est pas de même nature que l’activisme radical. Elle peut et doit trouver une solution politique. En revanche, le danger le plus grave est celui des milices du type AQMI. On sait que le rêve de groupes terroristes et, aussi, il faut le souligner, de leurs partenaires narcotrafiquants est d’avoir un territoire qui puisse leur servir de sanctuaire. Face à ce péril, tout le problème est la faiblesse de l’Etat malien et de ses forces armées. Cela devrait obliger les grands pays des régions sahélienne et saharienne à prendre la mesure du problème et à aider le Mali.

Précisément, le Maroc a appelé les Etats du Sahel et du Maghreb à intensifier leur coopération pour lutter contre les activités de l’AQMI et des autres groupes. Or, les dirigeants d’Alger cherchent à exclure le Maroc de toutes les structures régionales de coopération en matière de sécurité et de défense dans la région, prétextant notamment du fait que le Maroc ne serait pas «un pays du champ ».

Nous touchons là à l’essentiel. Jusqu’à présent le régime algérien a prétendu s’autoproclamer le gendarme du Sahel et être le chef de file d’une structure régionale de lutte contre le terrorisme qui était surtout un moyen de tenter d’exercer une influence et se valoriser auprès des Etats-Unis et des pays européens qui sont par ailleurs sévères sur la situation politique et économique de l’Algérie. L’échec d’une gestion sécuritaire algérienne est patent. Il s’explique par le fait qu’Alger s’est ingénié à écarter l’autre grand de la région, le Maroc. Or, rien ne peut se faire sans le Maroc qui est naturellement un pays du champ puisqu’il a des centaines de kilomètres de frontières avec la Mauritanie.

Comment expliquez-vous l’attitude algérienne ?

Depuis des décennies, Alger nourrit des ambitions hégémoniques dans la région. Ces ambitions, qui sont en contradiction avec une action positive qui consisterait à favoriser la coopération régionale, notamment l’intégration maghrébine, ont conduit, dans les années 1970, le régime algérien à créer de toutes pièces l’affaire du Sahara marocain, avec l’aide du bloc communiste, afin de s’octroyer un accès vers l’Atlantique et affaiblir le Maroc. Depuis, tout le Maghreb et le Sahel –et l’Afrique tout entière- sont empoisonnés par ce dossier qui n’est qu’un reliquat de la guerre froide. Il est remarquable que la position actuelle de l’Algérie et assez incompréhensible puisque d’une part, elle prétend défendre l’intégrité du Mali et être hostile à l’instauration d’un Etat de l’Azawad, sachant qu’il y a une forte minorité touarègue en Algérie, et, d’autre part, elle travaille à la création d’un Etat fictif au Sahara marocain, c’est-à-dire qu’elle porte atteinte à l’intégrité du Maroc. Par surcroit, on peut se demander comment l’Algérie concilie ses déclarations visant à préserver la stabilité au Sahel et au Sahara alors qu’elle soutient le Polisario qui est l’un des facteurs de déstabilisation et d’ »insécurité dans la région. Le moins qu’on puisse dire est que la politique algérienne a du mal à trouver une cohérence. En tout cas, le jeu algérien est dangereux et d’autant plus vain que le Maroc est une puissance saharienne, sahélienne et africaine de premier ordre que personne ne peut ignorer. Les événements récents démontrent que la stabilité dans toute cette partie de l’Afrique ne peut être garantie sans une forte implication du Royaume.

Lors de sa récente visite au Maroc, le Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra a demandé l’aide du Maroc. Ce dernier a promis son soutien en raison de l’attachement qu’il a toujours eu avec ce pays africain. Quelle pourrait être la contribution du Maroc dans la résolution de la crise sécuritaire au Nord du Mali qui menace toute la région?

En réalité, tous les dirigeants africains savent que le Maroc est un acteur essentiel dans toute la zone. L’engagement personnel du Roi Mohammed VI a fait que le Maroc est le seul Etat maghrébin qui ait une politique africaine d’envergure et qui soit crédible auprès des pays africains. En outre, la coopération économique est remarquable et les investissements marocains y sont nombreux. Le Maroc a donc un important capital de confiance sur la scène régionale, comme sur la scène internationale. Il est très impliqué dans la lutte antiterroriste et il a les compétences nécessaires et une vision claire et sans équivoque, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Personne ne peut prétendre se passer de l’expertise du Maroc dans la recherche d’une solution au problème malien et, plus largement, à la question de la sécurité régionale. Il doit être clair que la lutte contre les groupes terroristes et l’instabilité régionale doit impliquer pleinement le Maroc. D’ailleurs, Rabat a déjà pris l’initiative d’appeler à une intervention urgente des États islamiques et de la communauté internationale pour protéger le patrimoine du Mali, notamment à Tombouctou. Le Royaume a également envoyé une aide humanitaire en faveur des Maliens déplacés par les combats dans le nord de leur pays. Sur le plan sécuritaire, il faudrait repenser un dispositif impliquant tous les pays de la région, en premier lieu l’Algérie, le Maroc et les Etats de la CEDEAO, avec un fort soutien de la communauté internationale.

Quelle est l’influence du Maroc au Mali sur le plan religieux ?

Un aspect important de la relation du Maroc avec le Maroc et un grand nombre d’Etats africains est le facteur religieux. Ces pays sont de rite malékite, c’est-à-dire une école traditionnelle qui défend l’Islam modéré. Or, le chef de file de l’Islam malikite est naturellement et historiquement le Roi du Maroc, Commandeur des Croyant. L’influence du souverain chérifien est donc de premier ordre et elle contribue à défendre les vraies valeurs de l’Islam face aux charlatans extrémistes qui ont pris la religion en otage. Sur le plan spirituel le Royaume a également une influence positive par l’intermédiaire des grandes confréries. Tout récemment encore, on a vu la création d’un conseil fédéral national de la Tarîqa Tijania des Tijanes maliens, qui est intervenue des recommandations du congrès organisé en juillet 2011 à Bamako sous le Haut Patronage du Roi Mohammed VI.

Propos recueillis par Hasna Daoudi

*Charles Saint-Prot est le directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques (www.etudes-geopolitiques.com). Chercheur au Centre de droit international, européen et comparé de la Faculté de droit de l’Université Paris Descartes, il est professeur à l’Université ouverte de Catalogne à Barcelone. Auteur d’une centaine de contributions et d’une trentaine d’ouvrages dont plusieurs ont été traduits en arabe, en anglais et en espagnol. [
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