Ali Amar: « Dans son entreprise, Moulay Hicham est à la fois l’acteur, le scénariste, le metteur en scène, le monteur et le projectionniste »
Le livre du journaliste Ali Amar « Moulay Hicham, itinéraire d’une ambition démesurée » aux Editions « Pierre-Guillaume de Roux » est sortie en France le 1er juillet. Atlasinfo.fr a rencontré l’auteur. Entretien:
La réponse la plus évidente est que Moulay Hicham est un personnage public qui intervient régulièrement dans l’actualité politique et dans le débat. Il a été très proche de certains journalistes, de certains activistes. Pour moi en tant que journaliste, je suis étonné qu’il n’y ait pas de livres sur Moulay Hicham surtout qu’il se présente en tant que compétiteur du roi du Maroc. L’idée du livre m’est venue concomitamment avec la sortie de son autobiographie "Le journal d’un prince banni "et j’étais interloqué par beaucoup de choses qu’il racontait dans son livre. J’ai connu cet homme pendant une dizaine d’années. Je l’ai côtoyé intimement. Nous sommes devenus très proches et on se voyait régulièrement. J’ai relevé qu’il avait procédé à une forme de reconstruction de la vérité. Il avait dévoyé la réalité et tordu le cou à la vérité.
Selon vous, Moulay Hicham a pris des libertés avec la vérité ?
Par ce livre, il a voulu fermer une parenthèse. Moi, j’ai considéré que c’était une sorte d’épitaphe de son vivant. Il fait un livre pour clore une période où il a été très actif. Il a peut-être voulu, je le dis par intuition, laisser ce témoignage comme un testament d’une certaine vérité. La sienne ! Or, ce n’est pas la vérité. Il y a beaucoup de choses qu’il a fabriquées. C’est pour cela que j’ai tenu à écrire ce livre que je n’ai pas voulu très long. Je n’ai pas abordé la sphère privée. Je voulais un livre assez précis, assez concis pour revenir sur des vérités tronquées ou fabriquées.
J’étais aux premières loges et je ne peux que constater que le prince Moulay Hicham trompe son public en racontant des choses absolument fausses dans son livre. Certaines ont été préfabriquées par le prince pour se construire un personnage d’homme banni alors qu’il avait programmé son départ du Maroc. Il avait d’autres intérêts ailleurs mais il fallait qu’il monte en épingle son statut d’homme opprimé. Dans son entreprise, Moulay Hicham est à la fois l’acteur, le scénariste, le metteur en scène, le monteur et le projectionniste.
Quelle est l’origine de cette rivalité morbide qu’il entretient à l’égard de son cousin, le roi Mohammed VI ?
Moulay Hicham fait une fixation pathologique sur son cousin, le roi. Il y a sûrement des éléments liés à l’enfance, à une compétition de jeunesse, à des formes de jalousie précoces. Il a toujours voulu se mesurer à son cousin, être en compétition avec lui. Pour des enfants, cela se comprend. Mais cette situation a perduré et empiré quand Moulay Hicham a commencé à se rêver en homme providentiel. Rappelez-vous cette conférence à l’IFRI en 2001 dans laquelle il avait critiqué la primogéniture et évoqué un processus à la saoudienne. Il s’est tout de suite mis en position de prétendant. Nous, au « Journal », nous avons écrit un éditorial pour signifier notre désaccord avec lui. Son idée nous éloignait de la dynamique démocratique et nous renseignait surtout sur ses objectifs et ses projets cachés, et sur sa façon d’entrevoir ce "royaume pour tous" dont il parlait et qui n’est en fait qu’un moyen de faire l’apologie de son ambition démesurée. Tout le monde lui est d’ailleurs rentré dedans en lui disant "on veut bien de toi comme agitateur d’idées mais on ne veut pas de toi comme prétendant au trône". Cette idée a d’ailleurs rebuté beaucoup de gens et il a perdu la majorité de ses soutiens y compris chez ceux qui sont critiques à l’égard de la monarchie.
Ceux qui l’ont affublé du surnom d’Iznogoud ou de « calife à la place du calife » ne s’y sont pas trompés. Les deux sont assez compatibles avec le personnage.
Des journalistes étaient considérés comme faisant partie de son réseau, y compris vous. Quel était son intérêt ?
Pour nous au « Journal », Moulay Hicham était un bon client et une bonne source. Il y a des journalistes qui ont en revanche reçu de l’argent de sa part par opportunisme ou pour des projets éditoriaux. On les connait. Sur le plan international, le prince fonctionne comme un lobbyiste. Il paie certains think tanks et organisations qui lui donnent en retour la possibilité de s’exprimer. C’est de cette manière là qu’il a monté son centre à Princeton et qu’il a fait de Sandford l’épicentre de ses activités. Il s’entoure et utilise certaines personnalités qui lui apportent leur aura et leurs statuts d’universitaires. Mais on ne peut pas parler d’un soutien à l’étranger. Ce ne sont que des amitiés intéressées.
Dans votre livre, vous évoquez l’autre face de Moulay Hicham, celle de l’affairiste ?
C’est un homme d’affaires un peu plus qu’avisé. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’est résident nulle part. Comme il n’est pas résident au Maroc, il fait prévaloir sa résidence à l’étranger. Et à l’étranger, il loge ses affaires dans les paradis fiscaux. Pour quelqu’un qui parle d’éthique, de règles de droit et de bonne gouvernance, cela pose un sacré problème. C’est cette contradiction qui est au cœur de son discours et de sa personnalité. On a un prince qui ne veut pas perdre aucun de ses privilèges, qui fait ses affaires dans les paradis fiscaux et qui dit au roi de nationaliser ses biens. Moulay Hicham n’est pas en capacité de dire cela. Lui qui ne s’est jamais départi de son côté très businessmen.
Vous qui étiez un intime de Moulay Hicham, comment expliquez-vous sa bienveillance à l’égard du régime algérien ?
Moulay Hicham ménage Alger parce que l’Algérie est pour lui une caisse de résonances. Quand il faisait ses sorties, il était très content que la presse algérienne en fasse écho. Il le fait par calcul, par marketing. Il a toujours voulu être un interlocuteur potentiel de l’Algérie dans certaines affaires.
Vous attendez-vous à une réaction du prince Moulay Hicham ?
Le livre est suffisamment précis pour qu’il n’ait rien à redire. D’abord, j’étais l’un des témoins qui a vécu de visu toutes les affaires dont je parle dans mon livre, et j’ai recueilli ses témoignages notamment sur son rôle d’intermédiaire dans la vente d’armes. C’est quelque chose qu’il ne peut pas contester aujourd’hui. Il n’y a rien d’ailleurs dans le livre qui peut être contesté. Ce n’est pas un livre fiction comme le sien et je ne suis pas le seul à connaitre la vérité sur Moulay Hicham. Ces faits que je relate dans mon livre, j’ai eu à les vivre avec d’autres personnes proches du prince. Il lui reste quelques journalistes affidés qui n’hésiteront peut-être pas à m’attaquer.
Propos recueillis par Atlasinfo.fr