A Berlin, «tolérés» mais toujours sans-papiers (Libération)

Non expulsables d’Allemagne jusqu’en 2011, les étrangers s’estiment piégés par un statut temporaire qui les gêne pour décrocher un emploi, précieux sésame pour la régularisation.

La Turmstrasse dans le quartier populaire de Tiergarten, à Berlin, est toujours grouillante de monde. C’est là que se loge Jeunesse sans frontières, une initiative créée par de jeunes sans-papiers soutenus par différentes associations humanitaires. Quelques tables, un téléphone, un ordinateur… Les moyens sont limités. Mohamed et Khaled, la vingtaine, animent l’antenne berlinoise de Jeunesse sans frontières, qui réclame la régularisation des sans-papiers de longue durée, au moins 110 000 personnes.

Pendant des années, Mohamed et Khaled ont fait partie, avec leur famille, de ces sans-papiers non expulsables et interdits de travailler officiellement: on les appelle les «tolérés». A Brême début décembre, les Länder, compétents en la matière, ont décidé de prolonger de deux ans le permis de séjour temporaire accordé fin 2007 à ceux d’entre eux qui cherchent activement un emploi. Depuis le début de l’année donc, les personnes «tolérées» ont deux ans pour trouver un travail et demander dans la foulée un permis de séjour en bonne et due forme. Sinon, ils redeviendront expulsables… Le but est de limiter la présence d’étrangers vivant d’aide sociale.

Le statut de «toléré», qui concerne tous ceux n’ayant pas encore trouvé de travail stable, interdit de se déplacer librement d’un Land à l’autre à l’intérieur de l’Allemagne, pas même pour rendre visite à de la famille, à moins de demander une autorisation.

provisoires. Mohamed et Khaled ne se souviennent plus trop de leur vie d’avant, celle qui s’est déroulée loin de l’Allemagne. Mohamed a 24 ans. Il est arrivé avec sa famille à Berlin voici onze ans, fuyant le Liban. En Allemagne, le père de Mohamed demande l’asile politique. Après cinq années de procédure, sa demande est finalement rejetée.

«Mais nous n’avons plus de papiers d’identité, et l’ambassade du Liban refuse de nous fournir un passeport», explique le jeune homme. Non expulsable, la famille vit depuis de prolongation en prolongation de son statut de «personnes tolérées», bénéficiant de l’aide sociale. Pour la famille de Mohamed, les choses ont commencé à s’arranger voici deux ans. Les autorités allemandes décident en effet, fin 2007, de s’attaquer au problème des sans-papiers non expulsables et accordent à 38 000 personnes vivant en Allemagne depuis plus de huit ans un permis de séjour provisoire de deux ans.

Les adultes, interdits jusque-là de chercher un emploi, ont reçu un permis de travail. Les jeunes, qui devaient quitter le système scolaire à la fin du secondaire, sont désormais autorisés à entamer des études supérieures ou à suivre une formation professionnelle.

Le père de Mohamed ouvre alors un commerce de voitures d’occasion, et le jeune homme entame une formation d’infirmier. Son employeur, les Hôpitaux de Berlin, lui a promis un CDI à la fin de sa formation, ce printemps. Mohamed obtiendra alors un permis de séjour. «Pour moi tout va bien, mais il n’en est pas de même pour ma famille, explique-t-il. Le commerce de mon père a périclité avec la crise, et mes parents touchent de nouveau l’aide sociale. Ma mère est "tolérée" pour quatre mois encore, mon frère pour deux ans, mon autre frère un an, tout comme ma plus jeune sœur, qui est née en Allemagne.» C’est pour eux que Mohamed continue à se battre.

Avec son ami Khaled, il se rend inlassablement dans les écoles et cherche à sensibiliser l’opinion au sort des sans-papiers. «On nous dit que nous sommes fainéants, ou bien qu’on prend le travail des Allemands… Les Allemands ne savent pas que nombre d’étrangers n’ont pas le droit de travailler, et que ceux qui ont le droit de le faire peuvent être expulsés s’ils perdent leur emploi !» s’énerve Khaled. Tout juste âgé de 22 ans, il a, lui aussi, presque achevé la formation d’infirmier qui lui permettra d’obtenir un permis de séjour illimité.

Critères stricts. Khaled est arrivé en Allemagne à 14 ans, avec sa famille, des Kurdes de Syrie. Son père est apatride et Khaled n’est enregistré sur aucun registre d’état-civil en Syrie. «Quand on est sans-papiers, on est obligé de vivre de l’aide de l’Etat. Mais ce n’est pas ce que nous voulons», explique-t-il.

Depuis leur petit bureau de la Turmstrasse, les deux garçons préparent des tracts et des réunions aux quatre coins de l’Allemagne. Jeunesse sans frontières possède des antennes à Munich et à Karlsruhe (en Saxe et en Hesse), et se mobilise dès qu’un jeune sans papier menacé d’expulsion bascule dans la clandestinité. Ce fut le cas pour Mohamed Baldeh, que la Bavière a tenté d’expulser vers la Sierra Leone. Un pays qu’il avait quitté quatorze ans auparavant et où il n’avait plus de famille.

Mohamed Baldeh n’avait pas la chance de remplir les critères stricts définis par l’Etat pour un permis de séjour à l’essai : vivre en Allemagne depuis plus de dix ans (huit pour les parents de mineurs), maîtriser la langue, posséder un casier judiciaire vierge. Des conditions que seuls 38 000 des 110 000 sans-papiers vivant en Allemagne remplissent. A ce jour, 7 000 sans-papiers seulement ont pu trouver un emploi.

«Sociétés parallèles». «Nous sommes maintenus dans une attente permanente et privés de toute perspective», résume Beriwan, une jeune Kurde vivant en Allemagne depuis plus de vingt ans. Depuis, sa famille redoute l’expulsion à chaque changement de majorité politique. «Pendant des années, on n’a ni expulsé ni tenté d’intégrer tous ces gens, s’offusque un travailleur social du quartier de Neuköln à Berlin. On les a ainsi contraints à développer des sociétés parallèles pour s’en sortir.» Beriwan n’a plus aucune chance d’obtenir un jour le permis de séjour qui assurerait son avenir : pour échapper à une tentative d’expulsion, elle avait triché sur son âge. Un mensonge qui l’empêche aujourd’hui de légaliser sa situation.

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