Erdogan et ses nouvelles alliances
La Turquie d’Erdogan après le putsch raté est en train vivre de grandes transformations. Non seulement le président turc Tayeb Erdogan profite de cette épreuve pour régler leurs comptes à ses ennemis intimes incarnés par Fethulah Gulen, installé aux Etats-Unis, en se livrant à une gigantesque purge, mais il saisit cette séquence et les contraintes qu’elle lui impose pour tenter d’aboutir à d’autres alliances politiques régionales et réécrire sa politique étrangère.
Par Mustapha Tossa
Les informations parues dans la presse internationale selon lesquelles ce sont les russes qui avaient alerté Erdogan de l’éminence d’un coup d’Etat n’ont par reçu de démenti ni de Moscou ni d’Ankara. Et si elles s’avéraient pertinentes, elles feront de Erdogan un obligé. Et cela est d’autant plus important qu’il intervient dans un contexte de tension avec Washington. Il est vrai que le vice-président américain est attendu en Turquie le 24 août avec pour mission principale de recoudre les fils distendus de leurs relations. Mais les turc semblent l’attendre de pied ferme. Le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusolgu est catégorique :"L’élément principal dont dépend l’amélioration de nos relations avec les États-Unis est l’extradition de Gülen, où il n’y a pas de place pour la négociation".
Mais le changement le plus palpable qui se profile touchera la relation avec l’Union Européenne. Déjà tendue avant le putsch, les liaisons entre Bruxelles et La Turquie risquent de subir une grande pression. Erdogan ne cache plus son amertume. Il perçoit la déception de certains européens quand ils avaient constaté l’échec du coup d’Etat militaire. Il est d’autant plus remonté que ceux qui, après une hésitation, ont montré leur soutien et leur solidarité à son égard, l’ont fait en posant des conditions si crues qu’ils ont fini par jeter de la lumière sur ses défauts et ses tendances despotiques.
Le chèque en blanc refusé à Erdogan depuis Paris, Berlin ou Bruxelles, était de nature à radicaliser les positions du président turc et à ternir son image déjà assombrie. D’ailleurs une des plumes du journal "Le Figaro" Renaud Girard n’hésite pas à le qualifier de menace pour l’Europe:" Pour les Européens, Erdogan est une menace spécifique parce que, contrairement à Mustapha Kemal, il n’a ni admiration ni affection pour la culture occidentale". Cette approche ne semble plus choquer personne.
Erdogan, qui n’était déjà pas chaud pour signer l’accord historique avec Bruxelles sur la crise des réfugiés, semble profiter de la nouvelle donne pour exiger davantage de concessions de la part de l’Union européenne en échange du rôle de gendarme qu’elle lui a été dévolue pour protéger ses frontières et réguler les puissants flux migratoires qui utilisent la porte turque pour s’infiltrer en Europe. En ces temps de grande incertitude, Erdogan appuie sur un levier très sensible à Bruxelles avec une tonalité de maître-chanteur : ou supprimer le système des visas imposés aux citoyens turcs et donner un coup d’accélérateur au processus d’adhésion ou revoir l’ensemble du deal passé avec l’UE avec le risque de voir se déverser sur ses territoires tous ceux qui fuient les conflits du Moyen-Orient.
L’Union européenne n’a pas encore répondu à cette nouvelle posture turque. Sans doute est-elle en train de s’interroger pour distinguer la part de sérieux et celle de la surenchère et du marchandage propre à toute logique de négociations politiques dans les nouvelles position de Tayeb Erdogan …