Nuages noirs sur le vivre ensemble à la française ?
On peut le dire sans aucun risque d’emphase ou d’exagération, l’attentat de Nice, les scènes d’horreur et les traumatismes qu’il a créés, ont été un grand tournant dans la perception qu’ont les Français, toutes tendances confondues, de la menace terroriste et de ses possibles conséquences sur la cohésion nationale. Non seulement l’union nationale sacrée qui s’est forgée au lendemain des attentats du Bataclan s’est fissurée, mais Nice a été le théâtre, outre de scènes d’horreur qui ont traumatisé la mémoire nationale, de violents affrontements politiciens.
Par Mustapha Tossa
Déjà avant Nice, les services de sécurité françaises qui, contrairement aux hommes politiques contraints par les limites de l’expression politique, sont au fait de la réalité du terrain et de la véracité de la menace, commençaient à évoquer l’hypothèse d’un scénario catastrophe qui plongerait la société française dans un cycle de violence qui lui rappellerait ses heures les plus sombres. L’hypothèse d’une grande confrontation entre des radicaux de l’extrême droite et ceux qui pourraient se revendiquer de la galaxie radicale islamiste était dans tous les esprits. Ce scénario ferait sauter tous les verrous qui garantissant un vivre ensemble, certes tendu mais pacifique.
Une énorme alerte a été lancée lorsque les autorités ukrainiennes avaient annoncé en mai l’arrestation d’un jeune français, Gregoire M, un Lorrain de 25 ans, sympathisant de l’extrême droite et qui s’apprêtait à faire venir en France un inquiétant Arsenal: Cinq Kalachnikov, plus de 5000 munitions, deux lance-roquettes antichar, 125 kg de TNT et 100 détonateurs. Pour ne pas donner à cet événement une ampleur dramatique, il a été savamment noyé dans un halo d’analyses et d’interprétations qui a mêlé une volonté ukrainienne de faire briller sa diplomatie à l’égard de Bruxelles et de Paris et un banal trafic d’armes auxquels se livrent les grands réseaux mafieux d’Europe.
Aujourd’hui avec les inquiétudes ouvertement exprimées de voir se déclencher une confrontation communautaire motivée par l’esprit de vengeance sur fond de xénophobie exacerbée par les attentats, ce genre d’événement prend une angoissante tournure. D’ailleurs dans les pages éditoriales de la presse française, il n’y a plus d’hésitation ou de retenue à évoquer le scénario d’une guerre civile alimentée par l’infernal cycle de la confrontation communautaire. Quelques signaux récents, glorifiant une islamophobie assumée, vont dans le sens de l’escalade sécuritaire.
Ironie de ce présent sanglant qui marque les esprits et menace de faire voler en éclats petits compromis et grands consensus, c’est exactement le scénario fantasmé par des organisations terroristes comme Daesh, celui de créer les conditions de grandes tensions communautaires au sein des pays européens pour capitaliser ensuite sur les ruines de cette confrontation. Le grand défi pour des pays européens comme la France visé par l’installation d’une déflagration communautaire est justement de ne pas tomber dans ce piège.
Les déclarations des principaux leaders politiques, motivés par les agendas des multiples primaires, vont dans le sens de la surenchère sécuritaire. Une sorte de concours à qui proposera les mesures les plus fermes et les plus déterminées pour lutter contre cette ambiance délétère qui prépare les esprits aux pires scénarios. Sans aucun doute, la séquence électorale présidentielle y est pour beaucoup dans cet effet de loupe grossissant les dangers et les angoisses, mais les nouvelles formes que prennent les actions violentes, qu’elles soient motivées par des raisons sociales pathologies ou obéissant à un agenda terroriste introduisent les sociétés européenne, la française en particuliers sur un vrai fil de rasoir où la cohabitation pacifique entre ses différentes composantes sous le plafond protecteur de la république, où le vivre ensemble égalitaire qui avait sa distinction, seront mis à rude épreuve.