Ce scénario fiction pourrait susciter quelques sourires sous cape et quelques froncements de sourcils sarcastiques. Mais entre le Venezuela et l’Algérie, il y a des points communs qui pourraient refroidir les moqueurs de circonstance. Ce sont deux pays à la plus-value énergétique incontestable qui vivent une crise présidentielle chronique. Ce sont deux pays dans lesquels le vieux monde peine à mourir pour laisser la place au neuf. Hélas pour les Algériens, la situation de Abdelaziz Bouteflika contient les ingrédients de défis politiques et personnels pire que celle qu’affronte Nicolas Maduro. Le seul point commun sans doute est l’indéfectible soutien de l’armée. Dans le cas du Venezuela, l’institution militaire s’est érigée en protectrice de l’ordre établi, défiant la communauté internationale, Américains et Européens en tête, pour barrer le chemin à Juan Guaido, le challenger de Maduro. En Algérie, malgré les invraisemblables chemins de croix que représente l’aventure du cinquième mandat, alors que le quatrième était déjà une interminable torture, la grande muette algérienne laisse faire et trouve quelques pudibonderies politiques à ne pas siffler la fin de la partie.
A la veille de ce fameux 18 avril, jour de présidentielle algérienne, le clan Bouteflika maintient un suspens fictif. Il ne confirme pas que leur champion se présentera à sa propre succession mais tout est fait comme si le plus célèbre malade d’Algérie allait participer à cette grande course avec la dynamique électorale qu’on lui connaît. La soif de politique et de changement chez les Algériens, mélangée à l’humour que provoque le désespoir, a sans doute été à l’origine de ce nombre record de personnes qui ont retiré les dossiers de candidatures. La grande majorité de ces candidatures visaient simplement à profiter de l’effet présidentiel algérien combiné à l’amplification des réseaux sociaux pour sortir de l’anonymat et se faire une petite célébrité locale. Les candidats dits « sérieux » comme le pourraient être des personnalités déjà déclarées comme Ali Benflis ou Ali Ghediri rangent leurs freins et retiennent leurs souffles tels des chevaux de course menottés dans leurs écuries.
Les autres candidats potentiels, anciens premiers ministres, anciens ministres des affaires étrangères, ou de grands notables de l’ère Bouteflika observent un mutisme de sioux. Ils partent du principe que tant que le glaive du cinquième mandat pèsera sur l’Algérie, il ne sert strictement à rien de sortir du bois et de déclarer sa flamme. Malicieux et calculateurs, ils préfèrent attendre que l’érosion politique fasse son œuvre de manière naturelle avant de relever le défi et s’imposer comme un successeur crédible à l’actuel président.
La présidentielle algérienne intéresse si fort les voisins européens et maghrébins de l’Algérie que depuis quelques semaines elle s’est installée dans leurs émissions d’humour politique. En France par exemple, après la célèbre émission « Quotidien » animée par le talentueux Yann Barthès qui se propose d’expliquer la politique aux jeunes de manière ludique et qui avait fait du sort de Bouteflika ses choux gras, voici une des émissions satiriques les plus écoutées et les plus appréciées de France, « La revue du presque » animée quotidiennement dans la matinale de la radio Europe 1 par le grand imitateur Nicolas Canteloup. Chaque matin presque, cette émission se propose de passer un coup de téléphone au président Abdelaziz Bouteflika. La locution inaudible et les réactions mutiques de ce dernier illustrent à merveille la grande impasse dans laquelle le cinquième mandat voulu jette l’Algérie et les Algériens. Chaque matin, les auditeurs français sont invités à rire de cette situation ubuesque où un homme censé jouir d’une paisible retraite médicalisée s’accroche à son maroquin présidentiel comme le pendu s’accroche à sa corde.