La réponse des Tunisiens ne s’est pas faite attendre : la fermeture des aéroports tunisiens à tous les avions portant fanion des Emirats arabes unis. Si ce ne sont pas là les prémisses d’une nouvelle grande crise diplomatique, cela y ressemble en tout cas. D’autant que certains faiseurs d’opinion en Tunis exigent de leur gouvernement des démarches plus expressives de cette frustration tunisienne.
Il paraît clair que ce genre de décision et d’escalade est de nature à porter atteintes aux intérêts économiques des deux pays dont on connaît l’épaisseur des investissements financiers et humains. Les autorités des Emirats ont tenté d’éteindre ce feu de la discorde et de minimiser l’ampleur de cette crise.
Le ministre des Affaires étrangères Emirati Anwar Gargash fut le premier à dégainer sur Twitter une explication apaisante : « Nous avions été en contact avec [nos] frères en Tunisie sur une information concernant la sécurité qui a nécessité des mesures spécifiques et temporaires (…) "Nous, aux Emirats, qui sommes fiers de notre expérience de promotion des femmes, respectons la femme tunisienne et apprécions son expérience pionnière", a-t-il ajouté, en appelant à "éviter (…) les tentatives de [mauvaises] interprétations et de tromperie".
« Le sécurité qui a nécessité des mesures spécifiques et temporaires » dont parle le ministre Anwar Gargash est à mettre, selon les médias des Emirats, sur le compte de la lutte de ce pays contre le terrorisme et sa détermination à protéger son territoire d’éventuelles tentatives d’attentats. Certains sources rappellent, pour nourrir cet argumentaire qu’au jour d’aujourd’hui, environ deux milles tunisiens dont plus de deux cents femmes participent activement dans les théâtres d’opération de l’"Etat Islamique".
La défaite progressive de cette organisation terroriste en Irak et bientôt en Syrie, comme l’avait annoncé récemment le président français Emmanuel Macron, pose la problématique du redéploiement des « soldats » de l’état Islamique dans d’autres régions ou leurs retours dans leur pays d’origine. Le phénomène des « revenants » est actuellement la source d’angoisse sécuritaire de tous les pays impliqués et concernés par la lutte internationale contre le terrorisme.
Cette crise entre Tunis et Abou Dhabi, si elle n’est pas contenue à temps, peut avoir des proportions aussi graves qu’inattendues. Elle intervient sur un terrain déjà travaillé par de sourdes tensions entre les deux pays sur fond d’évaluation générale et fortement clivée de ce qui est baptisé communément "Printemps arabe" et dont l’étincelle originelle est partie de la Tunisie.
L’accès du parti Islamiste Annahda au pouvoir entre 2011 et 2014 scella définitivement le divorce entre les deux pays. Il est de notoriété publique que la confrérie des frères musulmans dont est issu le parti Annahda n’est pas en odeur de sainteté aux Emirats arabes unis qui l’accusent ouvertement de couver les démarches radicales et de nourrir les soubassement idéologiques du terrorisme et des actions violentes.
Et quand on rajoute à ce scénario le tropisme envers le Qatar que la Tunisie sous la présidence de Beji Caïd Essebsi continue d’alimenter, il est aisé de comprendre le côté abrasif de cette relation entre Tunis et Abou Dhabi. Dans ces nombreux reproches aux Emirats, la Tunisie d’aujourd’hui pointe la timidité des investissements de ce riche pays du Golfe pour lui venir en aide notamment dans le cadre du projet « Tunisia 2020 » qui s’était tenu le à Tunis le 29 novembre 2016. Cette frustration tunisienne doublée par l’incapacité du président tunisien à rencontrer le leadership qui compte des Emirats laissent monter aigreurs et déceptions.
D’autant qu’entre les deux pays, des divergences de fond se sont imposées quand à la manière de gérer des crises régionales comme la discorde libyenne, Tunis et Abou Dahbi ne pariant pas sur les mêmes chevaux, se retrouvent presque en confrontation politique sur théâtre libyen interposé.