Dès l’annonce de la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat s’est installée une ambiance lugubre de fin de fête sur l’ensemble de la scène politique algérienne. Et pour cause dans la bouche à peine marmonnante de Bouteflika, déclaration de candidature équivaut à déclaration de victoire. Dès que Bouteflika officialise son envie de rester à son poste, le poste en question lui est automatiquement acquis. Car ceux qui pourraient croire qu’il y aurait une campagne présidentielle avec débats publiques entre candidats et discussions de programmes peuvent toujours au pire rêver au mieux suivre cela sur des télévisions étrangères où la vie démocratique par procuration est beaucoup moins dangereuse.
Abdelaziz Bouteflika a lancé l’acte V de son mandat non pas à cause seulement d’une envie effrénée et permanente de « servir le peuple algérien », mais parce que ce peuple réuni en partis politiques, en syndicats, en associations, en corps intermédiaires, n’a pas cessé de le réclamer. M. Bouteflika a été déclaré candidat désiré avant même qu’il ne le fasse lui même. Comment peut-il résister à cette réclamation frénétique et insistante, lui qui s’est promis d’offrir sa vie jusqu’à son dernier souffle au service de son pays ? Bouteflika a eu cette démonstration pour illustrer son envie : « Bien sûr, je n’ai plus les mêmes forces physiques qu’avant, chose que je n’ai jamais occultée à notre peuple (…) Mais la volonté inébranlable de servir la Patrie ne m’a jamais quitté et elle me permet de transcender les contraintes liées aux ennuis de santé auxquels chacun peut être un jour confronté »
Les détracteurs du cinquième mandat ont, semble-t-il, perdu de leur superbe. Résignés, ils donnent cette vague impression d’avoir épuisé la vigueur de leurs arguments lorsqu’ils se passionnaient à combattre en vain le quatrième. Déjà hypothèse invraisemblable, Bouteflika a « gouverné » de sa chaise roulante médicalisée. Son fan club s’amuse aujourd’hui à faire valoir qu’à part quelques ruptures sociaux économiques de circonstances qui maintiennent le rêve de migration comme l’ambition numéro un de la jeunesse algérienne malgré un pays riche en gaz et en pétrole, les grands équilibres ont été conservés. Ce qui montre bien qu’un quatrième mandat était nécessaire et qu’un cinquième l’est tout autant.
Bouteflika en cinquième saison est un fait politique important qui montre trois indications majeures. La première est que cette société politique algérienne aussi diverse et aussi variée a été dans l’incapacité de produire des personnalités susceptibles de s’imposer naturellement et de constituer une alternative vigoureuse à cette solution pathologique. La seconde est que le clan présidentiel qui gère l’écurie Bouteflika a montré un activisme et un machiavélisme de situation pour tuer toutes velléités dans l’œuf et s’arranger pour que les illusoires espoirs de stabilité et de pacification reposent sur les épaules d’un grand malade. La troisième est qu’enfin la grande muette algérienne, jadis fabrique de présidents de la République et productrice de légitimité de pouvoir, semble aujourd’hui en retrait. Aucun des poulains qui piaffent d’impatiences d’arracher le sacre à Bouteflika ne semble cocher toutes les cases ou créer le consensus indispensable à toute innovation présidentielle.
S’il est assurément une bonne nouvelle pour le clan Bouteflika, le cinquième mandat n’est pas de nature à rassurer voisins et alliés de l’Algérie. Les Algériens vont devoir vivre avec le fardeau de l’incertitude et l’opacité du pouvoir. Qui gouverne réellement l’Algérie ? Telle est la question qui a marqué le quatrième mandat et qui va s’imposer avec une acuité quotidienne une fois lancé le cinquième. Avec cette fois une particularité dangereuse: la probable grande dispute sur le pouvoir en Algérie se fera sans filet.