Lorsque les accords d’Abraham ont été signés à la Maison Blanche entre les Emirats arabes unis, le Bahreïn et Israël, la Turquie d’Erdogan a organisé à travers ses médias et ses relais politiques une gigantesque indignation internationale. Son refus de cette nouvelle situation était tel qu’elle a envisagé rompre ses relations diplomatique avec les Emirats et des sanctions contre ces pays qui ont osé franchir ce pas.
Et lorsque le Maroc a décidé de rétablir ses relations avec Israël, cette même Turquie d’Erdogan a actionné les partis islamistes sous sa domination idéologique pour organiser une série de protestations et de critiques à l’encontre de la décision marocaine.
Ironie de l’histoire, la Turquie est un pays membre de l’OTAN qui entretient des relations diplomatiques complètes avec Israël, ainsi que des relations économiques et militaires intenses avec l’Etat l’hébreu si fortes qu’une interrogation de taille s’impose : pourquoi cette Turquie si proche d’Israël au point que certains lui attribuent l’origine du ciment qui sert à construire le mur de séparation et les colonies dans les territoires palestiniens s’agace-t-elle à ce point lorsqu’un pays arabe et musulman signe un rapprochement avec Israël ?
Et ce qui complique encore plus cette situation, les récentes déclarations du président Erdogan exprimant son désir de renforcer la collaboration sécuritaire avec Israël. Et les mots pour le dire n’ont jamais été aussi expressifs : « Nos relations avec Israël en ce qui concerne les échanges sur le renseignement n’ont jamais cessé ( …) notre cœur souhaite l’amélioration de nos relations avec eux. » lance Erdogan décrit par son fans club « frère musulman » comme « le champion de la cause palestinienne » en direction d’Israël.
Ces prises de position mettent la galaxie de frères musulmans toujours prompte à dénoncer tout rapprochement avec Israël devant ses propres contradictions. Comment alors expliquer la violence des critiques quand la démarche de rapprochement concerne des pays arabes et le silence mutique quand la Turquie d’Erdogan ambitionne de renforcer davantage ses relations avec Israël ?
Les raisons qui ont poussé Erdogan à prendre de telles positions de séduction à l’égard d’Israël sont évidentes. Le président turc veut défendre les intérêts de son pays actuellement soumis à deux fortes bourrasques.
La première lui vient de l’Union européenne qui veut lui faire payer sa politique agressive dans la Méditerranée orientale, en Syrie, en Libye et au Nagorny Karabakh. Sans parler de ces menaces répétées à l’encontre de l’UE et son chantage d’ouvrir ses frontières avec l’Europe et de la noyer sous des vagues de réfugiés parmi lesquels des éléments terroristes de Daesh peuvent s’infiltrer.
L’Europe s’interrogeait déjà sur la duplicité coupable du régime turc à l’égard de l’organisation de l’Etat islamique, sa tolérance excessive à l’encontre de ses terroristes, notamment en provenance de l’Europe et du Maghreb et les facilités de mouvements et économiques dont ils ont bénéficié.
La seconde lui vient des Etats-Unis, notamment de la nouvelle administration démocrate. Alors encore candidat, Joe Biden avait exprimé une forte antipathie au style Erdogan qui semblait séduire Donald Trump. Biden a même promis de tout faire pour faire tomber démocratiquement Erdogan lors des prochaines présidentielles turques prévues en 2023. Parmi les nombreux critiques, l’administration américaine reproche à Erdogan d’avoir acquis le système de défense russe S-400 et mettre ainsi en péril les stratégies de défense de l’alliance atlantique. Des sanctions américaines ont déjà été votées au congrès contre la Turquie pour l’obliger à se défaire de ce contrat russe.
Aujourd’hui, il semble limpide que cette campagne de charme et de séduction d’Erdogan à l’égard d’Israël n’a qu’un seul objectif : mobiliser les Israéliens et leurs influences en Europe et aux USA pour que la dynamique des sanctions ne transforme pas en miettes l’économie et le leadership turc. Erdogan veut jouer la carte israélienne pour se refaire une virginité auprès d’un Occident qui commence à se poser des questions pertinentes sur la fiabilité de la Turquie : ami qui mérite encore sa place au sein de l’OTAN et son accès illimité à son arsenal technologique de défense où ennemi de l’intérieur qu’il faut combattre avec détermination?
Les positions d’Erdogan à l’égard d’Israël mettent en grande difficulté les partis islamistes qui lui sont affilié au Maghreb, Annahda de Ghanouchi, le PJD de Saadeddine El Othmani, où le MSP d’Abderrazak Makri d’Algérie. Ces partis islamistes qui considèrent la Turquie comme leur parrain et leur modèle de gouvernement doivent bien se rendre à l’évidence et reconnaître qu’Erdogan les manipule pour son propre agenda national et qu’il les utilise comme de la chair à canon idéologique pour réaliser des objectifs tout ce qu’il y’a d’égocentriques.