Le rapport Sicherman sur le Sahara
Le rapport de Harvey Sicherman sur la Sahara, qui vient d’être publié sous l’égide du groupe de réflexion américain Foreign Policy Research Institute (FPRI*) ou Institut de recherche en politique étrangère, examine les différents aspects du problème du Sahara et les efforts internationaux pour le résoudre.
La question du Sahara résulte d’un contexte international – la décolonisation – et d’une rivalité régionale, l’opposition Algérie-Maroc. Après la deuxième guerre mondiale, les Nations-Unis ont été chargées de surveiller l’évolution des ex-empires européens alors qu’un grand nombre de nouveaux Etats émergeait, particulièrement en Afrique. Certains de ces territoires ont cependant été contestés par des puissances voisines.
Le Sahara, qui n’avait jamais été un Etat, s’est avéré être l’un d’entre eux. Quand l’Espagne, puissance colonisatrice depuis 1884, a décidé d’abandonner ce territoire au début des années soixante dix, le Maroc a avancé une réclamation légitime basée sur des allégeances historiques et tribales. Mais l’Algérie affirmait une volonté hégémonique régionale sur le Maghreb et commanditait un mouvement de libération nationale dénommé Polisario, qui en cas de succès, encadrerait le Maroc sur son flanc atlantique. Refusant cette perspective, Feu le Roi Hassan II initiait alors la « Marche Verte » vers le Sahara le 6 novembre 1975, mobilisant quelques 350.000 marocains désarmés, pour récupérer ses territoires du sud. S’ensuivait une guerre avec les séparatistes du Front Polisario, soutenus par Alger.
Pour le FPRI, la ‘Communauté internationale’ a développé une approche incohérente, basée sur des références mélangeant l’idéologie « décolonialisatrice » et la rivalité algéro-marocaine. Un temps mis en avant, l’autodétermination s’est avérée être un mirage : environ 74.000 habitants étaient recensés par les espagnols ; depuis lors, les évaluations suggèrent entre 300-400.000 habitants. Deux-tiers sont maintenant urbains, habitant en grande partie dans la capitale Laâyoune. Quant aux séparatistes du Polisario, ils se sont « confortablement » installés en Algérie dans la wilaya de Tindouf, sous le contrôle et la protection de l’armée algérienne.
La ligne politique internationale reste traversée par les résidus de la guerre froide. L’Union africaine, sous l’influence conjointe de l’Algérie et de la Libye, a reconnu en 1984 l’adhésion en son sein d’une entité fictive – la « République démocratique arabe Sahraouie » (RASD) -. Protestant de ce coup de force, le Maroc a préféré quitter l’UA. Soixante-dix-neuf pays avaient entamé une procédure de reconnaissance de la pseudo RASD, mais à fin 2006, seulement vingt-six l’avait officiellement reconnue, car la fin de la guerre froide a dégonflé l’idéologie des mouvements de « libération nationale ». A contrario, relevons que la Ligue arabe a toujours soutenu le Maroc, de même que les Etats-Unis et la France.
L’ECHEC DES PLANS BAKER
En 1997, l’ancien Secrétaire d’Etat de George H. W. Bush, M. James Baker était chargé par le Secrétaire général des Nations Unies de trouver une issue au conflit. Il élaborait alors un projet d’accord-cadre, approuvé par le Conseil de sécurité des Nations-Unis le 27 février 2002, prévoyant un plan complexe d’autodétermination sur la base d’autonomies locales, mais sur un territoire unifié. Le Maroc avait dès le départ accepté le principe de ces autonomies locales, mais l’Algérie et le Polisario rejetèrent le principe de cet arrangement, qu’ils avaient pourtant initialement soutenu, lui préférant in fine une solution de partition que ne pouvait bien entendu agréer le Maroc.
Deux années de négociations stériles s’ensuivirent, le Conseil de sécurité des Nations Unies ne pouvant que se borner à constater l’échec d’une solution négociée. Pressé de sortir de l’impasse, M. James Baker concocta alors un nouveau plan posant le principe d’une gouvernance du territoire pour cinq ans par une Autorité indépendante du Sahara, qui serait suivie d’un référendum avec option du Maroc pour accorder soit l’autonomie, soit l’indépendance.
Ce règlement ne pouvait satisfaire le Maroc, dans la mesure où l’établissement d’une Autorité « indépendante » privait de facto le Royaume de sa souveraineté sur le territoire et ouvrait de plus la porte aux activités et à la propagande du Polisario. Malgré l’avis favorable du Conseil de sécurité de l’O.N.U, Rabat rejetait donc fermement le plan « Baker II », tandis que l’Algérie et le Polisario se proposaient de l’agréer, mais sous réserve de nombreuses conditions… Constatant l’impuissance de l’O.N.U, M. James Baker se libérait de son fardeau en démissionnant de son mandat en juin 2004.
LE PLAN D’AUTONOMIE MAROCAIN
Un temps éclipsé par d’autres conflits, notamment au Moyen-Orient, le problème du Sahara est revenu sur le devant de la scène, mobilisant à nouveau les efforts internationaux pour régler définitivement ce différent. Entretemps, la lutte contre le terrorisme était devenue un des enjeux majeurs des démocraties. L’installation de filiales régionales d’Al-Qaïda et les risques de déstabilisation des régimes d’Afrique subsaharienne ont mobilisé l’ensemble des acteurs concernés, et une véritable volonté de toutes les parties prenantes de régler le conflit a enfin émergé.
La revendication chaotique du Polisario sur un éventuel territoire a aussi perdu en puissance auprès de ses soutiens qui ne considèrent plus du même œil la création d’un nouvel Etat africain résultant d’une partition. Enfin, dernier point, ce conflit est un frein colossal au développement économique du Maghreb, restreignant les échanges commerciaux entre les deux grandes puissances régionales, le Maroc et l’Algérie. Et, observe perfidement le FPRI, « un décollage économique du Maghreb pourrait également fixer les populations locales et éviter les flux migratoires qu’appréhendent tant les pays européens ».
Fort d’un soutien international, le Maroc était alors en mesure de proposer, le 11 avril 2007, un plan d’autonomie résolument novateur. Le Sahara serait doté des prérogatives et des responsabilités que proposaient le plan Baker, mais sous souveraineté marocaine. Le Roi Mohammed VI a incorporé cette proposition en tant qu’élément d’une réorganisation importante du royaume dans le cadre du chantier de régionalisation qu’il a ouvert.
Les Etats-Unis et de nombreux autres pays ont fait un excellent accueil à ce plan, pressant les parties de reprendre les négociations et de conclure un accord définitif. Un diplomate – M. Peter von Walsum – a même été désigné pour surveiller l’évolution des entretiens entre le Maroc et le Polisario.
L’arrivée du président Obama et d’une nouvelle administration démocrate n’a eu aucune incidence sur la diplomatie développée par les Etats-Unis, qui préconisent toujours un règlement rapide du problème du Sahara et encouragent des négociations multilatérales dépassant le strict cadre des discussions sur l’autonomie.
CONCLUSION
Dernière péripétie en date, les ultimes tentatives de l’Algérie et du Polisario qui cherchent à peser sur les termes de la négociation, en instrumentalisant les ONG qui luttent pour les droits de l’homme dans le monde. Une égérie du Polisario, Mme Aminatou Haidar a ainsi tenté de s’ériger en symbole de la lutte « pacifique » des « gentils » sahraouis contre le « grand méchant » Maroc pour le maintien et la sauvegarde de leurs droits bafoués ! Ce nouveau « théâtre de protestation », destiné à prendre le relais d’une stratégie à bout de souffle, ne peut cependant faire illusion et le Maroc n’est pas tombé dans ce piège d’une prétendue « victimisation sahraouie » qui visait à le stigmatiser aux yeux de l’opinion internationale. Le règlement de ce conflit vieux de trente cinq ans n’a jamais paru aussi proche, une initiative conjointe Etats-Unis-Union Européenne pouvant débloquer la situation. Quand à la position de l’Algérie conclue le FPRI, « gageons qu’elle serait sensiblement plus ouverte dans le cas ou l’O.N.U et les généreux donateurs couperaient leur financement des camps de réfugiés sahraouis ».
*FPRI est le plus ancien think thank américain, fondé en 1955 par Robert Strausz-Hupé. Cet institut est connu pour son rôle d’organisateur dans la préparation de la National Military-Industrial Conference, ou Conférence nationale militaro-industrielle que le Président Eisenhower popularisa sous le sobriquet de « complexe militaro-industriel ». Ce rapport vient en complément d’une étude précédente réalisée en 2007 par le défunt chercheur Michael Radu, co-président du FPRI, intitulée « Lutte dans le bac à sable : Le Sahara occidental et la ‘Communauté internationale’». L’emploi volontaire des guillemets est destiné à illustrer une situation inquiétante dans les relations internationales. En effet, la ‘Communauté internationale’ ne parvenait pas à régler un conflit qui pourrissait depuis de longues années. Par le biais de son étude, Michael Radu a incité les Etats-Unis à proposer une solution de rechange pour éviter que le conflit ne s’empêtre dans un engrenage provoquant la formation d’un « trou noir » de djihadistes potentiels en Afrique.