Faouzi Skali à atlasinfo: le Festival de Fès de la culture soufie est un pont du dialogue entre les civilisations
Le Festival de Fès de la Culture Soufie n’est pas qu’une simple manifestation culturelle, mais plutôt un enjeu culturel et de civilisation comme l’explique M. André Azoulay, conseiller de sa Majesté le Roi du Mohammed VI à l’occasion de son discours introductif de la 4ème édition du festival de Fès de la Culture Soufie ayant pour thème « Mystique et poésie ».
M. Faouzi Skali, Directeur du Festival et docteur en anthropologie, auteur de nombreux ouvrages, dispense une spiritualité au cœur de l’Islam, intrinsèquement liée à la « religion » de l’écoute et de la tolérance, très loin des schémas caricaturaux sur les musulmans et les intégrismes. M. Faouzi Skali, authentique maître Soufi, est un homme de dialogue. Il perpétue une très ancienne tradition familiale marocaine, qu’il a découverte au fil de ses études. Ce « Cherchant » souhaite organiser des rencontres dans un cadre privilégié, entre chercheurs, philosophes, responsables politiques ou économiques, musiciens et artistes de tous pays et de toutes religions. Le Festival de Fès de la Culture Soufie, dont le succès va grandissant, à l’aune de la mesure de ses participants, est, pour M. Faouzi Skali, une place d’expression et de valorisation de l’enseignement Soufi. Cette spiritualité au cœur de l’Islam, religion de l’écoute et de la tolérance, très éloignée des clichés sur les musulmans et leurs intégrismes, est un pont du dialogue entre les civilisations, entre Orient et Occident.
Indéniablement, cette 4ème édition du Festival de Fès de La Culture Soufie est un succès, qui va au-delà du simple intérêt. Nous avons là un enjeu culturel qui transcende la simple manifestation culturelle. En témoigne la présence de M. Bensalem Himmich, ministre de la Culture du Maroc, qui a assisté à l’intégralité de nos débats lors de la journée de ce samedi 24 avril, et qui a activement participé à notre table ronde. Cette participation n’était pas simplement protocolaire !
Au-delà de ce simple constat , permettez-moi de vous indiquer que cette manifestation, organisée sous le Haut Patronage de sa Majesté le Roi Mohammed VI du Maroc, réunit des partenaires et responsables qui constatent que ce projet réunit et fédère un concept fécond de plus en plus large, aboutissement d’un long cheminement intellectuel…
Le Festival de Fès de la Culture Soufie est un projet en perpétuelle construction et évolution. Nous travaillons en étroite liaison avec des Universités et Facultés reconnues. Nous souhaitons que soient reconnues les expressions poétiques, sociales, culturelles et musicales qui se déclinent autour du soufisme au Maroc. Mentionnons que ces interactions sont intrinsèquement liées à l’histoire de la fondation du Royaume du Maroc (au XIIème siècle), et aux influences des mouvements soufis qui ont façonnés le visage de notre histoire : ce fil d’Ariane de la culture soufie dépasse aujourd’hui le champ des divisions politico-religieuses sur l’Islam !
ATLASINFO : Entre vulgarisation et « pipolisation », votre projet culturel ne risque-il pas de perdre en lisibilité ?
Bonne question. Rappelons que nous nous appuyons sur un travail préalable. Le Festival de Fès de la Culture Soufie vient en complément du Festival de la Musique Sacrée. Considérons que nous faisons pousser un arbre « polyvalent », ce Festival a l’ambition d’être un creuset et un développement civisationnel. Tout projet doit trouver son rythme de développement constructif et positif. Il est vrai qu’au départ nous mobilisons peu de moyens, mais nous disposons d’une réactivité importante. Cela nous pousse à aller plus loin, à créer ou générer des alliances.
Cette 4ème année est une année charnière. C’est une année de maturité, qui nous enseigne que rien n’est programmé ou acquis. Bref, « ça passe ou ça casse !». Il est nécessaire que notre projet acquière une sorte de solidité intérieure, mise cette année à l’épreuve par les aléas de la nature (les rejets du volcan islandais Eyjafölljökull).
Autre point à souligner : la qualité de notre organisation. Notre public nous suit, et les tribunes étaient remplies cette année alors que les places étaient pourtant limitées et que la nature manifestait son courroux… Ce qui démontre la lisibilité de notre projet et l’adhésion du public. Notre Festival conquiert peu à peu un véritable public et a indéniablement sa place à Fès, cité mystique s’il en est.
ATLASINFO : N’est-il pas difficile, sinon ambitieux de parler de Soufisme, d’écoles et de chaînes initiatiques ou de transmission alors que le public tâtonne ou effleure ces concepts ?
Nous avons privilégié le terme de culture soufie plutôt que soufisme. L’originalité de notre démarche et du Festival est de ne pas situer le projet sur un plan spirituel. Nous souhaitons en effet amener la culture soufie, patrimoine, production culturelle partagée en tant que mode social qui enrichit la vie et qui n’est malheureusement pas prise en compte par les anthropologues…
Qu’est ce que le soufisme au quotidien ? Peut-être une philosophie de la Nature qui profite du bien et s’en nourrit. Une réflexion sur la beauté, sur la contemplation, la verticalité… Quelque chose comme une irrigation, comme l’eau qui nourrit l’arbre… Nous humains, nous nous nourrissons des fruits de cet arbre tout en ignorant le processus de fabrication…
Interrogeons-nous sur le soufisme à nouveau. Ne s’agit-il pas là d’un mode de réflexion sur les civilisations du monde ? D’un principe fondamental, spirituel. Au final, notre objectif est peut-être de faire ressortir ce liant spirituel et cet espace symbolique capable d’attirer musulmans et non-musulmans pour les faire dialoguer et partager des expériences de vie.
Vous développez une excellente connaissance de l’histoire de l’Islam et de sa philosophie la plus aboutie ! Mais le concept de Futuwah est transposable au quotidien. Cette spiritualité imprègne par exemple la philosophie des corporations de métiers et a acquis une dimension sociale et une expression culturelle qui transcendent les aspects historiques que vous mentionnez. Futuwah, c’est comprendre et partager des valeurs, c’est fondamentalement une éthique de vie et de travail.
ATLASINFO : Comment voyez-vous le développement du Festival de Fès de la Culture Soufie ? Avez-vous des thèmes programmés ou des projets pour élargir votre audience ?
Chaque thème choisi est un cheminement. Nous ne pouvons choisir un thème trop tardivement, car nous avons évidemment à sélectionner des intervenants et des caps pour notre manifestation. Nous allons tenter de décrypter avant tout le résultat de notre édition, de manière à afficher la meilleure lisibilité et visibilité sur la prochaine édition.
Cette année, nous avons eu à cœur de nous interroger sur la notion de développement. C’est un sujet bateau, standard, mais nous avons essayé de le traiter sous l’angle qualitatif plus que quantitatif, en mettant en valeur les approches matérielle/immatérielle. Notre Festival aura montré que nous sommes sous l’emprise d’une idéologie, qui pensait avoir tout résolu en ramenant les enjeux à une dimension matérielle…
Comme l’a fort bien expliqué Edgar Morin dans son intervention, « il convient de penser le complexe » ; « Nous ne pouvons tout résoudre en voulant tout quantifier ». Le réalisme matérialiste est forcément réducteur : c’est la pire utopie !
La sagesse humaine est basée sur une expérimentation quotidienne. C’est le langage de la vie, La régénération de la pensée puise ses racines dans l’humus et les valeurs culturelles du soufisme.
Didier Lacaze, envoyé spécial d’Atlasinfo à Fès