Le FMI estime que les banques européennes ont perdu près de 1 000 milliards d’euros entre 2007 et 2010. Et ce sont les contribuables de toute l’Europe qui ont payé le prix du sauvetage des banques (pour un total de plus de 2 000 milliards d’euros).
Nous ne voulons pas voir en France des scènes de déposants faisant la queue durant des heures devant une banque de peur de perdre les économies d’une vie, comme nous l’avons vu en Angleterre en 2007 – et je peux vous assurer que les Anglais n’en veulent pas non plus !
Aujourd’hui, nous agissons pour changer le comportement des 8 000 banques actives en Europe, afin qu’elles ne répètent pas les erreurs du passé. Les banques ont pris trop de risques inconsidérés, notamment en investissant dans des produits douteux et en prêtant trop à des gens qui n’avaient pas les moyens de rembourser. Ce faisant, elles ont fragilisé ces personnes et se sont fragilisées elles-mêmes.
Nous allons obliger les banques à détenir davantage de fonds propres, et des fonds de meilleure qualité : comme n’importe quelle famille essaie de le faire, les banques doivent mettre suffisamment d’argent en réserve pour faire face à des chocs économiques ou financiers inattendus. Nous voulons aussi que les superviseurs nationaux surveillent les banques de plus près et qu’ils prennent les mesures nécessaires lorsqu’ils repèrent des risques dans l’évolution du crédit. L’objectif est de réduire la voilure lorsqu’une bulle spéculative se profile comme nous en avons vu ces dernières années dans l’immobilier ou dans l’Internet. Il ne s’agit pas d’empêcher les banques de prêter aux ménages et aux entreprises – c’est au contraire leur fonction première ! Mais elles doivent le faire de façon responsable.
Cela dit, tout ne sera pas résolu par des contrôles externes renforcés. Les banques ont besoin d’un changement culturel de l’intérieur. Elles doivent être mieux dirigées. Nous allons renforcer nos exigences vis-à-vis des conseils d’administration : ils doivent demander des comptes aux dirigeants des banques, garantir que l’exposition au risque soit mieux analysée et contrôlée.
Nous devons aussi prendre acte du fait que les temps ont changé : bien des banques ne sont plus nationales, mais internationales. Les banques françaises elles-mêmes ont su étendre leurs activités à d’autres pays européens ces dernières années. N’est-il pas normal que ces banques obéissent aux mêmes règles dans toute l’Union ? La régulation et la supervision doivent s’adapter à cette nouvelle réalité pour être efficaces. De même, les manquements aux règles doivent être sanctionnés : tous les superviseurs nationaux doivent pouvoir imposer des amendes dissuasives et s’appuyer sur des instruments de détection des infractions, y compris venant de l’intérieur des banques.
Nous avons tous été choqués de voir combien des banques pourtant mal en point pouvaient distribuer d’argent à leurs dirigeants ou à certains de leurs employés. La proposition que j’ai faite mercredi va contribuer à mettre un terme à ces pratiques. Et si les capitaux en réserve plongent, il n’y a pas de raison que les bonus des banquiers ne baissent pas eux aussi.
Il est également essentiel que les banques soient moins dépendantes des trois principales agences de notation de crédit, qui ont elles-mêmes perdu beaucoup de crédit avec leurs surnotations d’avant 2008 et leurs sous-notations actuelles. Les grandes banques doivent faire leur propre travail d’examen approfondi de la valeur d’un investissement, plutôt que de s’aligner mécaniquement sur les agences.
Toutes ces règles, nous allons les mettre en œuvre parce qu’elles sont justes et qu’elles vont assainir le secteur financier. Mais nous ne pouvons pas changer le monde à nous seuls. Nous sommes en Europe les premiers à respecter les engagements que nous avons pris avec nos partenaires internationaux dans le cadre du G20. Ceux-ci doivent maintenant remplir leur part du contrat pour assurer une stabilité financière à l’échelle planétaire.
Ne faisons pas l’erreur de voir ces règles nouvelles par le petit bout de la lorgnette. Elles font partie d’un ensemble bien plus large formant une réponse cohérente à la crise financière. Pour réduire le risque de crise, il faut agir sur tous les fronts. C’est ce que fait la Commission européenne depuis un an et demi en proposant des règles pour l’ensemble des acteurs et des marchés financiers. Nous avons agi pour réglementer les hedge funds et garantir les dépôts de particuliers. Nous avons mis en place une supervision. Nous aurons bientôt des règles pour encadrer les ventes à découvert et rendre plus transparents et sûrs les marchés des produits dérivés. Nous agissons avec mesure et précaution mais avec détermination et avec la conviction que nous renforçons ainsi durablement l’économie de notre continent.
Ce travail prend du temps, nous aurons franchi une première étape essentielle au printemps prochain lorsque j’aurai mis sur la table des législateurs européens, Conseil et Parlement européens, l’intégralité des textes mettant en œuvre les engagements du G20. Ces textes devront ensuite être adoptés par les législateurs et mis en œuvre sans tarder.
Ce n’est que lorsque l’ensemble de ce travail sera achevé, que des régulations efficaces et intelligentes seront en place et qu’elles seront appliquées uniformément en Europe, que nous pourrons dire que nous avons tiré les leçons de la crise, et que nous avons un secteur financier qui remplit son rôle : financer l’économie et apporter ainsi des emplois et de la croissance, plutôt que de peser sur les contribuables.
*MICHEL BARNIER Commissaire européen en charge du marché intérieur et des services
(Source Libération)