Le gouvernement s’est efforcé ces dernières semaines de rallier les députés à ces textes, qui posent de nouvelles conditions aux candidats, dont le fait de ne pas avoir distribué d’aide à des citoyens.
Cela pourrait notamment empêcher une candidature du magnat des médias Nabil Karoui et de la mécène Olfa Terras Rambourg, alors que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, est en train de se positionner pour les scrutins législatifs et présidentiel, fin 2019.
"On ouvre la porte à un précédent très grave. Plutôt que d’assumer leur bilan et se battre sur l’arène politique, des partis légifèrent l’année des élections pour éliminer des adversaires", avertit Nessrine Jelalia, de l’observatoire de la vie parlementaire Al Bawsala.
Un des amendements exige que les candidats aient respecté individuellement durant les 12 mois précédant le scrutin les mêmes obligations que les partis: pas de fonds étrangers ni de dons de sociétés, pas de distribution d’aide, ni de publicité politique.
Dans une précédente version du texte ayant circulé avant le vote, était même écarté de la course tout candidat "dirigeant une association ou un média".
L’amendement a été déposé par le gouvernement en réaction à l’annonce de la candidature du magnat des médias Nabil Karoui, qui a gagné en popularité en organisant des actions de charité diffusées quotidiennement sur la chaîne qu’il a fondée, Nessma.
Si les sondages sont sujets à caution, plusieurs l’ont placé en tête des intentions de vote ces derniers mois.
Une autre candidate pourrait être concernée: Olfa Terras – Rambourg, qui s’est fait connaître par le mécénat culturel et sportif de la fondation Rambourg et de son mouvement "Aich Tounsi", à grand renfort de publicité.
Leurs mouvements, qualifiés de "populistes" par les détracteurs, ont sillonné les zones marginalisées du pays, ce que nombre d’élus peinent à le faire.
Un autre amendement vise les personnes faisant l’apologie de la dictature — et pourrait toucher une autre surprise des sondages, Abir Moussi, qui défend l’héritage du président déchu Zine el Abidine Ben Ali.
– "Soigner le mal par le mal" –
Ces candidats comptent sur un vote sanction contre les principaux partis, qui s’est dessiné lors des municipales de mai 2018. La classe dirigeante, grippée par des luttes de pouvoir, pâtit de ses difficultés à répondre aux attentes sociales de la population, touchée par un chômage et une inflation persistants.
Pour le gouvernement, les organisations de M. Karoui ou Mme Rambourg sont des "partis de fait", or elles ne respectent pas le code électoral. Cela fausse la concurrence entre les candidats des partis, et ceux qui se préparent aux élections appuyés à une simple association.
"Il est toujours opportun d’appliquer l’égalité des chances", se justifie Mustapha Ben Ahmed, chef de file du bloc favorable au Premier ministre, estimant "ce n’est pas une nouvelle loi, mais un élargissement des règles existantes".
Cette modification de la loi électorale à un mois des dépôts des listes pour les législatives a été vivement critiquée, par les intéressés comme par des observateurs et acteurs politiques.
Signe des tensions: nombre de députés n’ont reçu certains amendements que peu de temps avant le vote.
Nabil Karoui a dénoncé une "tentative de coup d’Etat politique" ayant pour "seul but de l’empêcher de se présenter".
"Je ne renoncerai ni a mon engagement auprès des plus démunis ni à mon droit constitutionnel et encore moins à mon devoir moral de me porter candidat", a-t-il martelé dans une lettre adressée mardi aux députés.
L’ancien président de la commission électorale, Chafik Sarsar, avait estimé dès lundi que les amendements revenaient à "soigner le mal par le mal", dans un entretien à la radio RTCI. "Il y a des manoeuvres fraduleuses (…) mais la réponse n’est pas bonne" surtout "à un mois de la campagne électorale".
Pour Mme Jelalia, il aurait fallu confier aux institutions tunisiennes, comme la direction des associations, la Banque centrale ou la justice, le soin de s’assurer que tous les candidats respectent les règles du jeu.
"Imposer des mesures à effet rétroactif juste avant un scrutin dépossède les Tunisiens de leur capacité à faire un libre choix", déplore-t-elle.