Trafic d’animaux sauvages en Asie: des responsables presque intouchables

Des lionceaux fourrés dans des sacs de cabine, des centaines de petites tortues empilées dans des valises, des dragons d’eau et même de rarissimes spatulaires: les douaniers de l’aéroport international de Bangkok n’en finissent plus d’énumérer fièrement leurs dernières prises. Mais les spécialistes racontent une histoire bien différente, celle d’un trafic d’animaux sauvages d’Asie du Sud-Est en pleine explosion et dont les responsables prospèrent, protégés par la corruption.

"C’est très difficile pour moi. Je suis assis au milieu de gens qui sont bien et d’autres qui sont corrompus", avoue Chanvut Vajrabukka, un général à la retraite de la police thaïlandaise, qui conseille aujourd’hui la branche anti-trafic de l’ASEAN. "Si je leur dis: ‘Vous allez interpeller cette cible’, quelqu’un dans la même pièce pourrait bien l’alerter".

Pour Steven Galster de la Fondation FREELAND, qui lutte contre ces trafics d’espèces menacées, si un chef de réseau se retrouve dans le collimateur, un policier véreux interviendra pour faire arrêter l’enquête. Souvent liés au trafic de drogue ou d’être humains, "la plupart d’entre eux sont intouchables et continuent de remplacer les sous-fifres arrêtés par de nouveaux".

Et Galster de rendre hommage à tous ces fonctionnaires asiatiques qui continuent leur lutte tout en sachant qu’elle pourrait parfois leur valoir une mise au placard. Ainsi le lieutenant-colonel thaïlandais Adtaphon Sudsai, à qui on a demandé il y a quatre ans de tout arrêter, alors qu’il avait pénétré un réseau de trafiquants de pangolins le long du Mékong.

Son enquête était remontée jusque Daoreung Chaimas, une femme considérée par les associations comme l’un des plus grands trafiquants de tigres en Asie du Sud-Est. En dépit de deux arrestations, de témoignages d’anciens collaborateurs et des tests ADN montrant que deux tigreaux saisis ne venaient pas d’un zoo comme elle l’affirmait, elle est libre et l’affaire ne sera peut-être même jamais instruite.

Responsable policier de son état, "son époux a fait jouer de son influence", note M. Adtaphon, et désormais, "il semble qu’aucun policier ne souhaite reprendre cette affaire". Le jour où ce policier courageux a interpellé Mme Daoreung pour la seconde fois, il a appris qu’il était muté. "Peut-être une coïncidence", avance prudemment Adtaphon Sudsai.

Une autre affaire emblématique a vu un policier thaïlandais qui luttait contre les ventes illégales d’espèces protégées sur le grand marché de Chatuchak à Bangkok recevoir la visite d’un supérieur qui lui a enjoint "d’arrêter ou d’être viré".

Les soucis de M. Adtaphon sont partagés par d’autres officiels en Asie du Sud-Est, foyer de ce trafic gigantesque dont les prises partent toutes en Chine, pays où les vertus soit-disant médicinales ou aphrodisiaques des animaux capturés sont ancrées depuis des siècles.

Et ce trafic a des implications allant au delà de la région. Le Vietnam, où le rhinocéros de Java a disparu depuis bien longtemps, a été dénoncé fin juillet par le WWF comme "la première destination" pour les cornes de rhinocéros d’Afrique. Le Laos ne fait d’ailleurs rien pour poursuivre Vixay Keosavang, lié par la presse sud-africaine à un réseau de contrebandiers. Mais cet ancien militaire et responsable régional aurait des relations bien placées dans les hautes sphères laotiennes et vietnamiennes.

On sait aussi que des milliers d’oiseaux, notamment des perruches hétéroclites et des cacatoès, sont braconnés aux Iles Salomon et vendus à Singapour, en violation de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). L’astuce: les présenter comme animaux d’élevage, même si aucun site de ce type n’existe officiellement dans cet archipel du Pacifique.

D’après la police thaïlandaise, les acheteurs chinois, informés des arrivées, viennent régulièrement à Bangkok, descendent dans des hô tels autour du marché Chatuchak et rencontrent discrètement intermédiaires et gestionnaires de fret.

Parfois, un tuyau permet une saisie comme cette poudre de corne de rhinocéros implantée dans le vagin d’une girafe vivante à l’aéroport Suvarnabhumi. "Les quelque 100.000 passagers quotidiens venus du monde entier ne savent absolument pas qu’ils traversent l’une des plus grandes zones de trafic d’animaux sauvages au monde", note Steven Galster de la Fondation FREELAND.

Si des responsables aéroportuaires reconnaissent que la corruption existe à Suvarnabhumi, Chanvut Vajrabukka estime qu’elle n’est pas la seule responsable. Il met aussi en cause le manque de coopération et d’échange d’informations entre les différents corps: police, Parcs nationaux, douanes, immigration et CITES.

La loi thaïlandaise sur la protection des animaux sauvages, déjà vieille de plusieurs dizaines d’années, n’a toujours pas été amendée, les peines restent modestes et des vides juridiques -comme l’absence de protection de l’éléphant d’Afrique- existent.

Chalida Phungravee, patronne des douanes dans la zone fret à Suvarnabhumi, confie que la taille même du site rend son travail très difficile. Chaque année, l’aéroport voit passer 45 millions de passagers et trois millions de tonnes de fret, dont seuls 3% passent aux rayons X. Le principal entrepô t des douanes est grand comme 27 terrains de football.

Contrairement au passé, note néanmoins Steven Galster, les trafiquants ne passent plus aussi facilement. A Suvarnabhumi, "des agents infiltrés surveillent les agents corrompus et les trafiquants essaient de tromper leur monde". Pour lui, "si la corruption n’est pas maîtrisée, on pourra dire au revoir aux tigres, aux éléphants et à toute une série d’animaux".

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