Le chef de l’État français a remis une déclaration en ce sens à la veuve de l’opposant communiste Maurice Audin, mort après avoir été enlevé par des militaires français à Alger en 1957, lui demandant "pardon".
"Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris (…) tant en Algérie qu’en France", a dit M. Macron, qui affiche son volontarisme sur les sujets mémoriels et se pose régulièrement en briseur de tabous.
Le président a également promis l’ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens, Paris et Alger entretenant des relations intimes et compliquées du fait de l’Histoire coloniale et des migrations entre les deux pays.
Ces déclarations promettent de provoquer de vives réactions en France où la guerre d’Algérie, bien que largement documentée, reste un sujet hyper-sensible et le recours à la torture, bien que connu, demeure un tabou de l’histoire officielle.
Français ayant dû fuir l’Algérie (les "pieds-noirs"), combattants algériens s’étant battus pour la France puis abandonnés par cette dernière (les harkis), familles des disparus enlevés par les Français ou les Algériens, jeunes appelés du contingent jetés dans la guerre… Des pans entiers de la société française ont été meurtris par cet épisode et Emmanuel Macron semble décidé à crever l’abcès.
"Guerre d’Algérie : le geste historique d’Emmanuel Macron", titre le quotidien français Le Monde, alors que le travail mémoriel français sur ce sujet avance prudemment depuis quelques années.
"On est dans une continuité. Les premiers gestes datent de Jacques Chirac. Quand il fait reconnaître par son ambassadeur, en 1998, les massacres de Sétif (en 1945). Il ouvre alors un processus de reconnaissance que poursuit François Hollande en reconnaissant la répression de la manifestation d’octobre 1961 à Paris, aussi dans son discours sur la dureté du système colonial en 2012", explique à l’AFP l’historien Patrick Garcia, spécialisé dans les questions de mémoire.
"Un seuil est franchi avec la reconnaissance de la torture à travers le cas emblématique de Maurice Audin. Emmanuel Macron est au plus près des travaux des historiens qui ont établi les choses depuis bien longtemps", analyse-t-il.
Le gouvernement algérien a salué une "avancée" du gouvernement français. Le ministre des anciens combattants, Tayeb Zitouni, jugeant sur la télévision Ennahar TV que "le dossier de la mémoire entre la France et l’Algérie" serait "traité avec sagesse par les deux pays".
Les conséquences de cette reconnaissance, diversement accueillie en France, restent encore incertaines.
"incongruité"
"Pour la première fois, la République assume que, pendant la guerre d’Algérie, des militaires français, qui accomplissaient leur devoir, ont pu se rendre coupables de ce qu’il faut bien appeler des crimes de guerre", analyse dans Le Monde l’historienne Raphaëlle Branche, auteure notamment de "La torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie".
"On a toujours condamné la torture. Si elle a bien existé pendant la guerre d’Algérie, la grande majorité des militaires d’active et ceux du contingent ont servi loyalement dans une période douloureuse, très troublée et difficile à vivre, et mis en échec un putsch en avril 1961 qui aurait poussé le pays dans l’abîme", a déclaré à l’AFP Serge Drouot, de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc, Tunisie (Fnaca).
"Quel est l’intérêt pour le président de rouvrir des blessures, en évoquant le cas de Maurice Audin ? Il souhaite surfer sur la division des Français, au lieu de les réunir dans un projet", a jugé la finaliste de la présidentielle de 2017, Marine Le Pen, dont le père Jean-Marie, figure historique de l’extrême droite et ancien combattant en Algérie, a qualifié l’action de M. Macron d’"incongruité".
Le secrétaire national du Parti communiste français, Pierre Laurent, s’est quant à lui réjoui que "le mensonge d’État qui durait depuis 61 ans tombe".
"Il ne faut jamais craindre la vérité, mais en même temps il ne faut pas instrumentaliser l’Histoire" a estimé jeudi matin le chef de file des sénateurs de droite Les Républicains, Bruno Retailleau, prévenant contre "la concurrence mémorielle qui brise souvent le tissu national".