Les débats détournés
Le contexte régional est pesant, mais il ne justifie pas que les folles espérances d’une nouvelle avancée démocratique se transforment en un climat délétère. C’est ce qui est en train de se passer par manque de courage politique des élites.
La première a précédé les manifestations. Le recrutement des docteurs chômeurs massivement, illégalement puisque sans concours, sans réel besoin ni adéquation des diplômes avec les postes offerts. Par un retour aux vieilles méthodes, les offices et les communes ont été sommés d’en faire de même. On parle de 4000 recrutements à l’OCP par exemple. Seul Abdellatif Jouahri, égal à lui-même, a contesté l’intérêt économique de la direction. Le plus grave c’est qu’on a conforté les jeunes dans l’idée que l’accès à la fonction publique est un droit. Il ne faut pas s’étonner, si en juin, tous les diplômés se donnent rendez-vous devant le Parlement pour réclamer un poste et non pas un emploi. Le coût budgétaire est énorme, pérenne, le coût politique à la limite culturel, est tragique.
La libération des détenus Islamistes a été saluée comme « une journée historique » tous l’ont applaudie, même l’USFP qui a dirigé le ministère de la Justice pendant que les mêmes multipliaient les grèves de la faim. Qu’ils soient libérés ne pose pas de problèmes particuliers. Les « politiques » de l’affaire Belliraj étaient poursuivis pour des actes datant de 1992 et ne les reliant point à une action directe de déstabilisation. En fait, on leur reprochait une non-dénonciation qui est l’attitude normale de tout militant.
Quand aux Salafistes Jihadistes, ils étaient détenus pour avoir incité, fait l’éloge, de la violence contre la société et ses institutions. Ils ont révisé leurs positions, après 8 ans de détention. Il n’y a donc rien de scandaleux à ce qu’ils soient libérés.
Leurs déclarations ont suscité des réactions amusantes des jeunes du 20 février. Certains regrettent d’avoir revendiqué leur libération, d’autres demandent à la justice de les poursuivre, pour les mêmes raisons qui avaient justifié leur détention.
L’amusement ne dure qu’un instant, parce qu’en fait une erreur grossière a été commise par tous les militants de droits de l’homme, sans exception.
L’opinion et le délit
Quand les assassins d’Omar Benjelloun avaient été libérés, après 27 ans de prison, certains les avaient célébrés comme des détenus politiques. C’est la même erreur qui a été répétée, à plus grande échelle, le nouveau conseil des droits de l’homme lui-même ayant plongé.
Fizazi, Chadli et leurs amis ont été condamnés pour avoir professé la violence. Ce n’est pas une opinion, c’est un délit. C’est ce que dit la loi et l’état de droit c’est la suprématie de celle-ci et l’égalité de tous devant elle. Ils n’ont jamais été des détenus d’opinion au sens universellement donné à ce terme.
Par ailleurs les avocats, les militants des droits de l’homme ont toujours contesté la régularité des procès. C’est un autre problème. Tout accusé ayant droit à un procès équitable, les sanctions pénales doivent être annulées en cas de justice défaillante. Ce combat est juste, dès lors qu’il concerne tous les détenus dans le même cas, y compris ceux de droit commun, qui prouveraient que leurs droits d’accusés n’ont pas été respectés.
En les appelant détenus politiques on légalise le discours Takfiriste, comme une opinion soluble en démocratie. C’est une responsabilité historique lourde de conséquences. La cohérence voudrait qu’on abroge la loi anti-terroriste et toutes les lois concernant l’incitation à la haine et à la violence et d’en assumer les conséquences. En politique la sémantique n’est jamais neutre. Les libérer oui, les appeler détenus politiques non. Par ricochet on a egratiné l’image de la construction démocratique marocaine, puisqu’il y avait autant de « détenus politiques » mais ce n’est pas très important. Habib Malki a publié un livre très décevant sur l’alternance. Il exprime l’essentielle faiblesse de la classe politique, elle refuse l’analyse critique de son action. Ce n’est pas parce que l’autre, le makhzen, n’a pas joué le jeu que l’alternance n’a pas eu le résultat escompté. C’est parce que l’USFP a préféré les conciliabules au mouvement des masses et à sa dynamique que l’alternance n’a pas produit des effets et a laissé les conditions favorables au recul de 2002. Ce débat-là est évité par les directions. Il leur coûterait leurs privilèges