Le quotidien des femmes domestiques : une vie faite d’humiliations et de traitements dégradants (reportage)
S’il est vrai que dans leur recherche d’emploi, les femmes en général sont parfois confrontées à des avances indécentes, la vie des femmes domestiques est beaucoup plus compliquée. Elles sont soumises à de nombreuses manipulations des employeurs et aux abus quotidiens de tout genre qui les réduisent en servitude. Elles travaillent souvent sans contrat, ni régime de retraite, ni protection sociale, et dans des conditions parfois cruelles et inhumaines, sans aucun droit de contester.
En dépit des conventions internationales relatives aux normes décentes du travail domestique, dûment ratifiées par le Maroc, en vue d’apporter une protection juridique aux travailleuses domestiques, les employeurs, même s’ils embauchent sans contrat ni protection sociale, n’encourent aucune sanction tant que certains milieux continuent d’appréhender le travail domestique non déclaré, comme un phénomène normal contre lequel on ne doit ni s’insurger, ni se révolter.
Certaines femmes domestiques ne peuvent accéder à l’emploi que si elles admettent d’exercer sans contrat de travail. Les employeurs de façon générale préfèrent un arrangement verbal qui ne fixera ni durée de travail qui est de 44 heures par semaine, moins encore les taches domestiques à accomplir.
Alors qu’ailleurs, le travail domestique dissimulé expose le contrevenant à de lourdes sanctions financières et pénales, nos employeurs continuent de développer un système social basé sur l’exploitation de cette catégorie sociale asservie, donnant la preuve que la délinquance patronale est bien ancrée dans ce monde où les employeurs ne se font pas scrupule de piétiner sur les droits les plus élémentaires de ces femmes, dont les parcours sont souvent tortueux, douloureux, jonchés d’embuches, d’échecs et de malheurs.
L’exemple de Fadila est édifiant : mère de famille de 32 ans, divorcée avec deux enfants à sa charge, elle travaille chez une famille de cinq personnes en ville nouvelle à Meknès. Elle va au boulot vers 7h du matin pour le quitter aux environs de 17 h (10 heures de travail), après avoir fait le ménage, préparé à manger, pris soin de la grand-mère…pour un salaire mensuel de 1700 dh. ‘’Je ne peux rien face au refus de mon employeuse d’augmenter mon salaire. Sous le fardeau de deux ventres à nourrir, Achraf (9 ans) et Imane (11 ans) et à les sauver de la misère galopante dans mon foyer, je n’ai pas d’autres choix que de me contenter d’une aussi triste situation, se désole-t-elle.
‘’Un jour, poursuit-elle, j’ai pris congé de trois jours sous l’effet d’une grosse fatigue accompagnée de vertiges et de maux de tête. Ma patronne n’a pas trouvé mieux pour répondre à mon état de santé déplorable, que de soustraire 150 dh de mon très maigre salaire. De là, j’ai réalisé que je ne suis, aux yeux de mes employeurs, qu’un robot qui ne connaît, ni stress, ni épuisement, ni surmenage. Dire que ce travail finit par avoir raison de celle qui le fait au point de considérer que sa vie est ainsi faite’’, s’indigne-t-elle.
En plus de ces traitements dégradants auxquels elles sont soumises, les femmes de ménages sont souvent considérées comme une ‘’sous humanité’’ qu’on doit humilier sans qu’elles aient la possibilité de se défendre. Elles sont astreintes parfois à accomplir deux à trois tâches à la fois, sous peine de voir leurs contrats verbaux rompus.
‘’J’ai été recruté chez un couple au quartier Marjane pour des taches ménagères, et au fil des jours, je me suis trouvée aussi cuisinière et gardienne d’enfant pour un salaire de 1500 DH, nous confie Amina, une veuve avoisinant les 50 ans qui a vite accepté ce montant vu l’emplacement du lieu de travail, non loi de chez elle et vues les conditions de vie difficiles qui ne lui offraient pas une grosse marge de manœuvre. Sauf qu’avec la violation excessive des heures de travail sans aucun arrangement lié aux heures supplémentaires, et l’accumulation d’autres tâches non spécifiées à l’embauche, elle s’est trouvée contrainte d’abandonner.
Contrairement à Amina qui se plaignait surtout de la pénibilité du travail et de l’absence de couverture sociale, les ennuis de Nassira, appelée elle aussi, à accomplir plusieurs tâches moyennant un salaire de 1600 DH, sont liés à la maltraitance et aux violences verbales de la patronne. Engagée dans une grande maison de cinq pièces au quartier ‘’Plaisance’’ chez une famille nombreuse qui lui offre une pièce au rez-de-chaussée, non loin des toilettes, cette jeune de 22 ans évite de réagir aux grondements continus de sa patronne. ‘’Je suis forcée de passer sous silence humiliations et injures pour subvenir à mes besoins’’, nous dit-elle, l’air moqueur.
Hormis les propos insultants et les traitements dégradants auxquels elles sont soumises, nos femmes domestiques, notamment les jeunes, se trouvent parfois exposées aux tentations indécentes de certains employeurs qui se permettent de se comporter envers elles comme si elles sont des objets. Conscientes de leur situation pécuniaire dérisoire, de nombreuses filles finissent par céder. Ayant pris gout à cela, elles finissent par se retrouver sur ces mêmes lieux avec un autre statut : celui de maîtresses. Une situation qui vide l’union conjugale de sa substance et entraîne généralement de réels déchirements au sein des ménages, au point de les détruire au plus profond. Le nombre des ruptures conjugales dues aux caprices des employeurs, se comptent, chaque année, par centaines.