C’est un véritable tremblement politique qu’ont vécu les Français ce dimanche 9 juin. Emmanuel Macron et son entourage avaient beau dire que les élections européennes ne devaient pas avoir d’incidences nationales, la leçon qu’ils en ont tirée est que l’extrême droite était tellement haute dans le pays qu’il était indispensable de rebattre les cartes, non sans arrières-pensées.
En effet, personne parmi la galaxie des observateurs ne s’attendait à ce que le président Emmanuel Macron allait prendre la décision de dissoudre l’Assemblée nationale et d’appeler à de nouvelles élections législatives. C’est dire à quel point l’annonce présidentielle de ce dimanche 9 juin de convoquer les Français pour un scrutin législatif le 30 juin et le 7 juillet était un coup de tonnerre dans le ciel déjà perturbé de la politique en France.
La décision présidentielle a été annoncée prise sans signe avant-coureur et a provoqué la surprise. Le parti de l’extrême droite, le Rassemblement National (RN) a raflé la mise et a dépassé la liste de la majorité de plus de 15 points. Une humiliation suprême qui ne pouvait rester sans réponse.
La dissolution de l’Assemblée a longtemps été demandée par la patron du RN Jordan Bardella. Il en avait même fait un leitmotiv politique qu’il présentait à chaque fois comme un défi personnel lancé au chef de l’Etat. Dans les analyses du cénacle politique français, la dissolution était une hypothèse évoquée mais peu probable. Le raisonnement développé pour justifier cette négation était de dire que Macron qui terminait son second mandat et qui n’avait pas d’enjeux personnels puisqu’un troisième mandat lui était interdit par la constitution, n’avait aucune raison de faire ce cadeau à l’extrême droite.
D’autant plus que non seulement il risquait de perdre la frêle majorité dont il disposait, il risquait aussi d’offrir à l’extrême droite une entrée encore plus massive à l’Assemblée et peut être la capacité de former le prochain gouvernement. Et si on rajoutait à ces craintes, la séquence d’une France qui s’apprête à organiser les jeux olympiques, une déstabilisation de l’exécutif paraissait rompre avec toutes les logiques de prudence et de modération.
Et pourtant c’est la décision qu’Emmanuel Macron vient de prendre. Renverser la table et imposer des élections législatives tellement proches dans le temps que très peu de partis politiques peuvent prétendre être totalement prêts pour mener cette course électorale. Sans doute Emmanuel Macron compte-t-il sur un sursaut citoyen pour faire barrage à l’extrême droite ?
En procédant à la dissolution, Emmanuel Macron court le risque d’offrir le poste de Premier ministre à Jordan Bardella et de subir pour les trois années qui lui restent l’expérience de la cohabitation déjà vécue par François Mitterrand et Jacques Chirac. Mais pour cela, il faut que le Rassemblement National de Marine Le Pen puisse décrocher la majorité de sièges à l’Assemblée ou disposer de suffisamment d’alliés pour former une majorité de coalition. Ce qui au vu des postures de rupture du RN paraît un but difficile à atteindre.
Marine Le Pen va-t-elle proposer une alliance à Reconquête d’Eric Zemmour avec qui elle entretient des relations difficiles ou réussir à convaincre Les Républicains alors qu’elle est en concurrence politique avec eux et dont tout succès du RN est une menace existentielle pour leur survie ?
Si la décision de Macron va provoquer un choc dans la galaxie de droite, elle va aussi provoquer un immense tremblement de terre à gauche. Motivée par la seule envie impériale de faire barrage à l’extrême droite dont le danger se précise avec clarté aujourd’hui, cette gauche traditionnellement dispersées, rongée par la guerre des egos et des chapelles est condamnée à unifier ses stratégies sous peine de céder ses territoires à l’extrême droite et devoir subir les conséquences de sa possible arrivée au pouvoir, législatives demain, exécutif après-demain.
En dissolvant contre toute attente, Emmanuel Macron plonge le pays dans l’inconnu, joue une partie de poker extrêmement risquée et fait subir aux Français un choc de vérités qui les obligent à choisir et à se déterminer par rapport à ces « vents mauvais » qui soufflent sur l’Europe et d’en assumer pleinement les conséquences. Et si la stratégie d’Emmanuel Macron était de crever l’abcès de la présidentielle à travers ces élections législatives anticipées, avec l’espoir à la fois secret et risqué de voir que sur un scrutin national, le plafond de verre qui bloque l’extrême droite française fonctionne toujours malgré les illusions d’optique qui distillent la sensation contraire.