Le Maroc vers l’indépendance énergétique grâce aux schistes bitumineux ?

Lorsque les cours du pétrole sont élevés, les opérateurs se tournent vers des alternatives, appelées « ressources non conventionnelles » ou « sources exotiques ». Ces dernières sont aujourd’hui au cœur de la stratégie des grands groupes pétroliers. Exxon Mobil n’a ainsi pas hésité à débourser 41 milliards d’US$ pour acquérir XTO Energy (schistes bitumineux), et Total à racheter au prix fort, en Alberta (Canada) et à Madagascar, des sociétés exploitant des sables bitumineux ou détenant des permis d’exploration/production. En résumé, tous les acteurs du secteur pétrolier cherchent aujourd’hui un repositionnement pour « l’après-pétrole ».

Le Maroc vers l’indépendance énergétique grâce aux schistes bitumineux ?
Même si les coûts d’extraction des schistes bitumineux sont beaucoup plus élevés que ceux du pétrole en terre et en offshore (et même en offshore profond voire très profond), la flambée des prix du baril au-delà d’un seuil de 50/60 US$ justifie le développement de cette ressource qui offre une importance stratégique.

Et le Maroc est bien placé, puisqu’il dispose d’énormes réserves de schistes bitumineux, au 6ème rang mondial après les Etats-Unis, la Russie, le Brésil, la République
Démocratique du Congo (RDC) et l’Italie. Selon des estimations datant des années 70, les réserves prouvées atteignaient déjà 5,5 milliards de tonnes d’huile, à comparer à un volume d’importation du pétrole brut de 3,3 millions de tonnes en 2009 ! Notons de plus que les recherches avaient été interrompues en… 1977, les réserves déjà mises en évidence apparaissant suffisamment conséquentes.

Selon des études géologiques beaucoup plus récentes, entreprises sous l’égide de l’Office national des hydrocarbures et des mines (Onhym, ex-Onarep) marocain, les réserves d’huile des gisements de Timahdit (Moyen Atlas) et de Tarfaya (à l’est de la ville de Tarfaya, le long du littoral atlantique) sont évaluées respectivement à 42 milliards de tonnes et à 80 milliards de tonnes respectivement. Et d’autres gisements s’avèrent très prometteurs, notamment ceux du Gite de Tanger et du domaine rifain, du bassin d’Aït oufella-El kbab, du Haouz-Tadla, d’Essaouira-Hha, de Souss, de Ouarzazate et de Boudnib !

Rappelons préalablement et simplement ce que sont les schistes bitumineux (appelés aussi pyroschistes ou schistes kérobitumineux) et distinguons les des sables bitumineux. Les schistes bitumineux sont des roches sédimentaires aux grains fins, contenant des substances organiques (ou kérogènes) en quantité suffisante pour fournir du pétrole, voire du gaz naturel (remarquons que le nom prête à confusion, puisqu’en minéralogie, ces roches ne sont pas des schistes !). A la différence, les sables bitumineux sont un sable enrobé d’une pellicule de pétrole et d’eau. En résumé, les schistes bitumineux sont un pétrole non encore formé et les sables bitumineux, un pétrole dégradé.

Les techniques de valorisation des schistes bitumineux se classent en deux catégories : la voie ex-situ (ou exploitation en surface et à ciel ouvert) et la voie in-situ, principe consistant à pyroliser (extraire par le feu) les schistes sous-terre pour en extraire l’huile. L’exploitation ex-situ nécessite une extraction de la roche à ciel ouvert, entraînant d’énormes problèmes logistiques et environnementaux : évacuation des schistes, drainage et pompage de grandes quantités d’eau, qui va être polluée par des produits dangereux et toxiques. De plus, l’ONG Greenpeace estime que le coût d’extraction d’un baril de pétrole via ce procédé serait de 3 à 5 fois plus émetteur de gaz à effet de serre que le coût d’extraction d’un baril conventionnel.

Le Maroc a fait le choix du procédé in-situ, plus responsable en matière d’environnement et de risques écologiques. Le principe consiste à pyroliser les schistes sous-terre pour en extraire de l’huile. Ce procédé a fait l’objet de plusieurs études réalisées par le Bureau de recherches et de participations minières (BRPM) marocain, en collaboration avec des multinationales pétrolières. Les résultats ont montré que les schistes marocains étaient adaptés au traitement par pyrolyse, ce qui a amené le Maroc à développer un process en propre, dénommé T3 (Tanger, Timahdit, Tarfaya).

Après avoir signé des accords avec le brésilien Petrobras (2007) et le français Total (2008), la ministre de l’Energie, des Mines, de l’eau et de l’environnement, Mme Amina Benkhadra, vient de conclure un protocole d’accord avec le groupe estonien Eesti Energia (connu aussi sous le nom d’Enefit). Ce dernier s’appuie sur ses compétences nationales, sachant qu’en Estonie, 90% de la production d’énergie provient de centrales thermiques fonctionnant aux schistes bitumineux.

Eesti Energia va donc conduire dans un premier temps, une série d’études et d’analyses spécialisées pour évaluer le potentiel du Maroc en matière de schistes bitumineux. Dans une seconde étape, la société estonienne entreprendra des travaux de développement et apportera son know-how pour réaliser des unités de production d’énergie à partir des schistes bitumineux.

Didier Lacaze

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite