Dès le début, Pretoria a émis des signaux confus au sujet de la menace terroriste, semblant d’abord la rejeter, puis se plaignant que les États-Unis ne les avaient pas informés ou même suggérant que l’alerte américaine avait bouleversé les propres enquêtes de l’Afrique du Sud sur un prétendu complot terroriste.
D’abord, la ministre des Relations internationales et de la Coopération, Naledi Pandor, a déclaré que le gouvernement sud-africain est préoccupé par l’alerte terroriste émise par l’ambassade des États-Unis, appelant la communauté mondiale à collaborer dans la lutte contre le terrorisme.
«Le terrorisme est toujours une grande menace contre laquelle la communauté mondiale doit collaborer. Nous sommes très préoccupés après l’alerte dont l’ambassade des États-Unis nous a informés», a-t-elle dit, estimant que «tous les pays doivent s’unir pour combattre le terrorisme qui constitue un lourd tribut dans la région du Sahel».
Suite à la panique créée par cette alerte terroriste parmi la population, les commerçants et les touristes, le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a rompu son silence en «regrettant que le gouvernement américain ait émis ce type d’avertissement sans avoir eu de discussions approfondies avec nous». Lors d’une conférence de presse, il a martelé que «toute forme d’alerte viendra du gouvernement de la République d’Afrique du Sud et qu’il est regrettable qu’un autre gouvernement lance une telle menace qui sème la panique parmi notre peuple».
Un point de vue partagé par le ministre à la Présidence Mondli Gungubele, qui a déclaré : «Nous n’avons aucune preuve d’une quelconque menace».
Sauf que les Etats-Unis ne sont pas les seuls à avoir émis des alertes contre d’éventuels attentats terroristes dans le pays d’arc-en-ciel. Les hauts-Commissariats britannique, canadien et australien, ainsi que les ambassades de France et d’Allemagne à Pretoria ont tous relayé à leurs citoyens l’alerte terroriste américaine.
L’alerte indiquait que « les terroristes pourraient planifier de mener une attaque ciblant de grands rassemblements de personnes dans un endroit non spécifié dans la grande région de Sandton ».
Les experts en sécurité pensent, pour la plupart, que « tout indique que cette menace ne doit pas être prise à la légère ». Certaines sources anonymes de l’Unité spéciale de la police d’investigation des crimes prioritaires «Hawks» affirment même que l’annonce américaine avait fait avorter une enquête de six semaines sur un complot terroriste.
Regrettant que les États-Unis aient divulgué le complot prématurément, ces mêmes sources estiment que les Américains l’avaient probablement fait parce qu’ils n’avaient pas confiance dans la capacité des services de renseignement sud-africains à enquêter correctement et à éviter une telle attaque.
« Le problème avec nos agences de renseignement est qu’elles ne communiquent pas entre elles », notent-elles, ajoutant que l’idéologie entravait également la capacité des agences à percevoir et à traiter correctement la menace terroriste contre l’Afrique du Sud.
Le pays avait auparavant reçu plusieurs menaces, surtout du mouvement État islamique, pour avoir déployé des troupes en juillet 2021 dans le cadre de la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe pour combattre l’insurrection dans la province de Cabo Delgado, dans le Nord du Mozambique.
Willem Els de l’Institut d’études de sécurité (ISS) a déclaré, à ce propos, que le fait que d’autres ambassades aient relayé l’alerte terroriste américaine donne de la crédibilité à l’avertissement. «Je pense donc que cette menace est crédible», affirme-t-il.
Dans le passé, les responsables du renseignement sud-africain ont rejeté les alertes terroristes américaines au motif qu’ils pensaient que les États-Unis essayaient de les entraîner dans leur guerre contre le terrorisme.
En 2016, l’ambassade a émis une alerte indiquant qu’elle avait reçu des informations selon lesquelles des groupes terroristes radicaux prévoyaient d’attaquer des endroits où les citoyens américains se rassemblaient. Le ministre de la Sécurité de l’État de l’époque, David Mahlobo, avait minimisé cette alerte, affirmant qu' »il n’y a pas de danger immédiat », alors que le porte-parole du ministère des Relations internationales, Clayson Monyela, a accusé l’ambassade américaine de «semer la panique».
En mars dernier, les États-Unis avaient imposé des sanctions à quatre personnes en Afrique du Sud pour diverses activités de soutien à l’État islamique (EI), y compris le financement de ses affiliés ailleurs en Afrique.
Certains experts soutiennent que les États-Unis s’étaient sentis obligés d’agir parce qu’ils ne pensaient pas que l’Afrique du Sud était en fait susceptible de prendre des mesures contre les quatre hommes.
Des faits corroborés, en février dernier, par un rapport de l’Initiative mondiale contre le crime organisé transnational (GI-TOC) qui a mis en garde l’Afrique du Sud contre une menace imminente d’attaque terroriste, dans un contexte marqué par des activités croissantes de groupes extrémistes dans la région de l’Afrique australe.
«Les systèmes de renseignement sud-africains sont compromis et incapables de faire face à d’éventuelles attaques d’extrémistes», souligne le rapport intitulé «Insurrection, marchés illicites et corruption : Le conflit de Cabo Delgado et ses implications régionales».
C’est dire que l’Afrique du Sud avait raté plusieurs occasions de lutter efficacement contre le terrorisme et les terroristes. S’elle l’avait fait, le pays ne serait peut-être pas actuellement menacé d’être inscrit sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI).
En effet, le pays pourrait être prochainement mis sous surveillance renforcée du GAFI, organisation internationale de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La réaction trop lente de l’Afrique du Sud est mise en cause. Il est donc dans son intérêt d’agir et sans tarder.