La qualité des eaux en France reste insuffisante
Les chiffres publiés, lundi 22 mars, par le ministère de l’écologie donnent la mesure du chemin à parcourir pour atteindre le « bon état écologique des eaux » en France d’ici à 2015, que prescrit la directive-cadre sur l’eau (DCE) européenne adoptée en 2000. Plus de la moitié des eaux de surface sont dans un état écologique moyen, médiocre ou mauvais, tandis que 7 % sont en très bon état et 38 % en bon état. L’état écologique reflète la qualité de la biodiversité des cours d’eau, leurs concentrations en phosphore et nitrates, et leur hydromorphologie (état des berges, obstacles à l’écoulement…).
C’est à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, consacrée cette année aux enjeux liés à la qualité des ressources, que le ministère et l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) rendent ces données publiques. La mauvaise qualité de l’eau en France n’est pas une surprise : la moitié du territoire est classée en zone vulnérable du fait d’un excès de nitrates, 90 % des eaux de surface et 53 % des eaux souterraines présentant des traces de pesticides.
La France, habituée aux contentieux européens – sur la directive nitrates et la directive eaux résiduaires urbaines, qui oblige à assainir les eaux usées -, se retrouve au pied du mur. "Les objectifs sont ambitieux, et nous savons qu’ils seront difficiles à atteindre, dit Jean-Philippe Deneuvy, à la direction de l’eau et de la biodiversité du ministère de l’écologie. Nous nous donnons tous les moyens possibles pour y parvenir."
L’association France Nature Environnement (FNE) reconnaît l’ambition de l’objectif "par rapport à ce que nous sommes capables de faire", mais "pas par rapport à la préservation du milieu naturel", selon Bernard Rousseau, directeur du réseau eau. Le "bon état" au sens de la DCE est en effet loin de l’état naturel des eaux. Par exemple, pour ce qui concerne les nitrates, passer sous la barre des 50 milligrammes par litre suffit, alors que cette valeur ne permet pas d’éliminer les marées vertes.
Le pays devra avoir recours aux dérogations pour 36 % des eaux superficielles, en raison de leur état biologique, 17 % des eaux superficielles pour leur état chimique, et 36 % des nappes souterraines. La DCE prévoit d’accorder des délais si des motifs économiques (coût disproportionné par rapport aux bénéfices), techniques ou naturels (temps de réaction du milieu) le justifient.
Au total, 27 milliards d’euros devraient être mobilisés d’ici à 2015, la plupart du temps en réorientant des crédits existants. Les pollutions industrielles et urbaines étant mieux contrôlées, la lutte contre les pollutions générées par l’agriculture intensive est l’un des principaux défis. Une batterie de mesures est prévue : mise en place de bandes végétalisées le long des cours d’eau, obligation d’implanter des couverts végétaux l’hiver dans les zones vulnérables, plans d’action autour de 500 captages en eau potable prioritaires. Mais ce ne sont que des "mesurettes", selon M. Rousseau. "Le seul levier efficace serait de changer l’orientation de la politique agricole commune", affirme-t-il.
Pour l’heure, les changements de pratiques agricoles sont encouragés par le biais des mesures agro-environnementales (MAE), sur la base du volontariat. En échange de compensations financières, l’agriculteur implante des haies, augmente la durée de ses assolements et diminue le recours aux engrais et pesticides. Les MAE, dont le fonctionnement est complexe pour les agriculteurs, gagnent du terrain (de 8 000 hectares en 2007 à 44 700 en 2009), mais restent marginales. Les surfaces en agriculture biologique progressent aussi, mais représentent toujours moins de 3 % de la surface agricole utile.
Quant au plan "écophyto 2018", issu du Grenelle de l’environnement, il prévoit la division par deux – "si possible" – des pesticides utilisés en agriculture, mais n’a pas encore démarré. L’objectif est en outre combattu par une partie du monde agricole. "Le volet agricole ne sera pas simple, reconnaît M. Deneuvy. La mobilisation est difficile, la pollution diffuse, les résultats sur le milieu naturel lents…"
La restauration de la continuité biologique des cours d’eau est l’autre grand chantier. Les travaux sont coûteux ("renaturation" de berges, suppression d’obstacles, remise en eau de bras morts) et peu consensuels. "Il y a une forte résistance au démantèlement des barrages de la part des hydro-électriciens et des élus locaux. Je ne vois pas comment l’objectif sera atteint", relève M. Rousseau.
La suppression de 1 500 petits ouvrages est programmée d’ici à 2 015, mais cet objectif se heurte à celui d’arriver à 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale en 2020. Un projet de convention sur le développement d’une hydroélectricité durable, qui doit rendre compatible développement des énergies renouvelables et restauration des cours d’eau, est en chantier depuis un an et demi, mais n’a toujours pas abouti.
Gaëlle Dupont
Lemonde.fr