La décision de l’Ifab contrevient aux règles fondamentales du sport qui définissent un code vestimentaire unique sans distinction d’origine, de conviction politique ou religieuse. Un tel laxisme est inconcevable dans un cadre aussi normé où seule la règle, notamment vestimentaire, permet la comparaison des performances sur une même base. Autres principes bafoués : la trêve sportive, chacun laissant ses convictions au vestiaire, et le rassemblement par le rejet de toute forme de discrimination. Dans le passé, ces règles ont été appliquées de façon drastique. L’Afrique du Sud a été interdite de Jeux olympiques pendant trente ans pour cause d’apartheid. Et quand, en 1968, deux athlètes noirs américains, Tommie Smith et John Carlos, ont levé un poing ganté aux JO de Mexico pour marquer leur solidarité avec les Black Panthers, ils ont été exclus à vie. Ils n’avaient pas respecté la neutralité du sport. Comment expliquer alors que la plus haute instance du football ait décidé de contrevenir à ces règles fondamentales?
Dire que c’est un progrès pour les musulmanes, c’est oublier qu’avant la révolution de Khomeyni en 1979, les Iraniennes ne concouraient pas voilées. C’est oublier aussi les pionnières : la Marocaine Nawal El-Moutawakel, première championne olympique africaine et musulmane, en 1984, à Los Angeles ; Hassiba Boulmerka, première médaillée d’or d’Algérie, en 1992, aux Jeux de Barcelone. Menacée de mort par les islamistes du FIS, elle dédia sa victoire aux femmes de son pays. Ni l’une ni l’autre n’étaient voilées. Ce sont ces pionnières et celles qui leur ont succédé que l’on trahit aujourd’hui.
Reconnaissons que la Fédération internationale de football (Fifa), à la différence du Comité international olympique, a tenté de résister, en excluant à deux reprises, en 2010 et 2011, l’équipe féminine d’Iran pour port du hidjab. Il aura fallu toute l’influence du prince Ali de Jordanie, vice-président de la Fifa, pour trouver l’astuce permettant de contourner le règlement (loi 4) interdisant toute expression politique ou religieuse. Il a mobilisé un groupe de réflexion dont la conclusion fut que le voile était "un signe culturel et non religieux".
Derrière le Prince Ali, il y a une confluence d’intérêts très divers des pays du Golfe, le Qatar en tête, qui, tout en ayant l’air ouvert à la promotion des femmes, ont besoin de rassurer leurs religieux en ne cédant pas sur le statut de citoyen de seconde zone dévolu à la femme. Une façon de concilier sport et enfermement.
Par Annie Saugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, auteure de Femmes voilées aux Jeux olympiques (Jourdan, 2012).