Grande mosquée, le vague à l’âme de l’islam algérien en France
Lundi 23 janvier, le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a diffusé un communiqué annonçant son retrait des projets du gouvernement pour un « islam de France ». En réalité, le contact n’est pas rompu.
« Après concertation entre ses membres, la Fédération nationale de la Grande mosquée de Paris décide de ne pas participer aux travaux de mise en place de la Fondation de l’islam de France et de son conseil d’orientation, ainsi qu’à ceux de la mise en place de l’association cultuelle », écrit-il, avant d’appeler « toutes les fédérations et associations musulmanes gestionnaires de lieux de culte, ainsi que tous les musulmans de France, à rejeter toute tentative de mise sous tutelle de l’exercice de leur culte ».
Quel est le projet ?
Lors de la troisième « instance de dialogue avec l’islam » le 12 décembre, le ministre de l’intérieur, Bruno Le Roux, avait affiché sa volonté d’« aller vite » – pour aboutir avant les élections présidentielles – sur les chantiers de « l’islam de France ».
Présidée par Jean-Pierre Chevènement et déjà sur pied, une Fondation de l’islam de France – financée en partie par l’État et par des donateurs privés, dont de grandes entreprises –, doit soutenir des projets culturels et éducatifs, dont la formation profane des imams et aumôniers. Dalil Boubakeur, 76 ans, s’est vu confier la présidence de son conseil d’orientation, chargé de sélectionner les projets.
Plus stratégique encore aux yeux des fédérations musulmanes, une association cultuelle est en préparation pour financer de manière « transparente » des projets d’ordre religieux : formation théologique des imams, construction de mosquées ou d’écoles confessionnelles. Cette structure pourrait disposer d’une « contribution volontaire sur le halal ».
Quelles inquiétudes à la Grande mosquée ?
Elles sont diverses. « Depuis le début, nos douze délégations voient mal comment la Fondation de l’islam de France pourrait être présidée par un non-musulman, aussi honorable soit-il », explique en préambule Slimane Nadour, porte-parole de la Fédération nationale de la Grande mosquée de Paris (proche de l’Algérie).
Quant à l’association cultuelle, « cela va trop vite ». « Pendant deux ans, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, Manuel Valls n’a pas touché à se dossier. Il a fallu attendre l’arrivée de Bernard Cazeneuve et ces attentats qui ont bouleversé la France. Et maintenant il faudrait aboutir entre septembre et janvier », proteste ce proche de Dalil Boubakeur.
La GMP s’inquiète également des liens entre la future association cultuelle – qui mêlera représentants des fédérations, des grandes mosquées et des personnalités musulmanes dotées d’une expertise financière – et le CFCM. « Sont-ils organiques ? Ou seulement consultatifs ? », s’interroge son porte-parole, qui dit relayer les inquiétudes aussi de l’Union des organisations islamiques de France (branche française des Frères musulmans), de l’Union des mosquées de France (proche du Maroc), des Turcs du Mili Görus et de l’association Foi et Pratique.
Quant au projet de « charte de l’imam » qui sera discuté mercredi 25 janvier par le bureau exécutif du CFCM, il n’emporte pas davantage son adhésion. « Nous avons trouvé cette charte inconvenante. Quelle est la légitimité du CFCM, qui n’est pas une instance théologique, pour délivrer des agréments aux imams ? », questionne Slimane Nadour, pour qui il aurait été préférable de demander aux imams de France de signer laConvention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble, rédigée par la GMP et adoptée par le CFCM en 2014.
D’une manière générale, la Grande mosquée de Paris, dont la fédération rassemble 250 mosquées – soit 10 % de ces lieux de culte en France – redoute de voir son influence reculer. « Le recteur Boubakeur souhaite que l’on fasse les choses en tenant compte du poids de chaque fédération », reconnaît son porte-parole.
Quel avenir ?
Le communiqué publié lundi ne trouble pas outre mesure le ministère de l’intérieur. « C’est une menace, une manière de dire "traitez-moi bien" », observe un proche du dossier, en rappelant que ni Bruno Le Roux ni Bernard Cazeneuve n’ont jamais souhaité « mettre sous tutelle » le culte musulman.
Dalil Boubakeur regretterait surtout la présence, au sein du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France, de deux personnalités musulmanes avec lesquelles il ne s’entend guère : Kamel Kabtane, recteur de la Grande mosquée de Lyon, et Ghaleb Bencheikh, fils de l’ancien recteur de la Grande mosquée de Paris et responsable de l’émission Islam sur France 2.
Début janvier, il a également été mis en cause par le quotidien algérien El Watan pour être intervenu auprès de Bernard Cazeneuve à propos de son fils, employé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. « Le recteur souhaiterait que son fils, confronté au plafond de verre, ait une petite promotion. Mais jamais, au cours des 45 minutes d’audience avec le premier ministre, il n’a été question de ce sujet », assure son porte-parole.
« Visiblement, Dalil Boubakeur est inquiet, sur différents sujets, et cela rend la situation incontrôlable », indique une autre source.
Soucieux d’éviter toute « division » dans le contexte actuel, le gouvernement assure vouloir « maintenir le lien » avec la branche algérienne de « l’islam de France ». La GMP, elle aussi, semble finalement rechercher l’apaisement. La réunion « informelle » prévue mardi 24 janvier avec les opposants à la « charte de l’imam » a été reportée à « la première semaine de février ». Quant au déjeuner prévu le 1er février entre Jean-Pierre Chevènement et Dalil Boubakeur, il « est maintenu ».
Anne-Bénédicte Hoffner
La Croix