France: le calvaire des familles à la recherche d’un carré musulman pour inhumer leurs morts

« Je n’ai que des citoyens. La confession des gens ne m’intéresse pas », c’est par cette phrase lapidaire que le maire d’une commune justifie son refus d’autoriser la création d’un carré musulman dans la ville qu’il dirige. La laïcité, brandie comme un étendard, sert souvent de prétexte pour refuser un carré musulman dans les cimetières. En ces temps de pandémie, les citoyens français de confession musulmane peinent à trouver des places pour inhumer leurs morts.

Mehdi.R, dont la grand-mère est décédée le 3 novembre de mort naturelle, vit un enfer. La dépouille de la défunte est en attente d’être inhumée. Or, le  carré musulman dans la commune où elle a rendu l’âme est déjà saturé par les deux vagues de coronavirus.

« On aurait pu rapatrier la dépouille de notre grand-mère au Maroc mais nous respectons sa dernière volonté d’être inhumée non loin de ses enfants et petits-enfants », nous explique Mehdi, cadre supérieur dans la finance.

C’est donc tout naturellement que Mehdi.R est parti  demander une dérogation de la commune voisine qui dispose de places dans le carré musulman de son cimetière. « J’ai essuyé un refus catégorique de la part des services de la mairie », précise-t-il à Atlasinfo.

En attendant, Mehdi frappe à toutes les portes pour permettre à sa grand-mère de reposer en paix, mais sans succès. « Soit la commune ne dispose pas d’un carré musulman, soit elle en dispose mais il est saturé à cause de l’épidémie. Les communes voisines, elles, refusent systématiquement d’accorder une dérogation d’inhumation dans leurs cimetières », déplore le petit-fils.

« La question n’est pas que nous refusons de l’inhumer en dehors du carré musulman, mais il faut bien respecter nos rites religieux, dont orienter sa pierre tombale en direction de la Mecque », fait-il valoir.

A la mort de son père, Inès, sa mère et ses soeurs ont aussi fait le choix de la France. Elles aussi ont vécu le même calvaire que la famille de Mehdi. « Mon père a succombé à 54 ans une crise cardiaque. Nous étions anéanties mais pas au bout de nos peines. Les pompes funèbres nous ont appris  l’inhumation allait être retardée le temps de trouver une place dans un autre carré musulman », raconte cette technicienne de laboratoire, 25 ans, née en France comme ses parents.

« Le maire de notre commune, qui se définit comme un « laïcard », a fini par autoriser un carré musulman, tellement petit qu’il a été vite débordé par la pandémie. Au bout d’un processus épuisant et kafkaïen, nous ne sommes résiliées à l’enterrer à Thiers, à plus de 45 km de chez nous. C’est loin mais nous n’avions pas le choix », déplore-t-elle.

« On nous demande sans cesse de donner des gages de notre bonne intégration. Se faire inhumer en France, n’est-ce pas une pleine adhésion à cette terre, la France ? », s’interroge-t-elle. « Mais sommes-nous égaux pour autant face à la mort ? ».

Laïcité, comme motif de rejet 

La création d’un carré musulman dans un cimetière intercommunal relève exclusivement du bon vouloir des maires. Pour ceux qui en autorisent sa mise en place, ils acceptent rarement son extension en cas de saturation. Si la commune voisine dispose d’un carré musulman et de places, une demande de dérogation est alors déposée par la famille. Dans la majorité des cas, ces demandes n’aboutissent presque jamais.

Selon la loi 1905, la « République ne reconnaît et ne subventionne aucun culte mais elle assure la liberté de conscience et le libre exercice du culte ».

« Cette loi a été instrumentalisée. Certains maires s’en servent pour nous discriminer et nous refuser le droit d’honorer nos morts  selon nos rites », s’offusque Inès.

« Est -ce que le concept d’une bonne intégration prônée par certains signifie abandonner ce qui fait notre identité spirituelle », demande-t-elle encore un brin excédée.

Trois circulaires du ministère de l’Intérieur, notamment celle du 19 février 2008, ont apporté des précisions utiles à l’application de loi du 14 novembre 1881. Cette dernière prononce l’interdiction d’établir une séparation dans les cimetières communaux à raison de la différence des cultes.

« Le groupement des sépultures permet de rendre compatible le principe de laïcité, le respect du rite musulman et une optimisation du foncier », explique à Atalsinfo le président du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui, soulignant que « personne ne veut ériger des murs dans les cimetières ».

La loi française stipule que chacun peut choisir sa sépulture et faire respecter de ses dernières volontés. Le problème n’étant donc pas l’interdiction pour un musulman d’être inhumé dans un cimetière public, mais plutôt la difficulté de le faire selon les rites de sa religion.

Pour M. Moussaoui, le manque des carrés musulmans dans les cimetières est « une réalité et une préoccupation des musulmans de France ».

De nombreuses familles sont contraintes à des choix douloureux et difficiles, alors qu’elles sont, en même temps, confrontées à la perte d’un être cher. « Il est légitime pour ces familles de souhaiter enterrer leurs morts dans le respect des rites de leur religion. Cela contribue à apaiser le chagrin », estime le président du CFCM, indiquant que parmi ces règles rituelles musulmanes, l’orientation des sépultures vers la Mecque.

« Les citoyens français de confession musulmane ne demandent pas à transgresser les lois. La tradition musulmane prévoit, par exemple, l’inhumation à pleine terre du corps du défunt. Conformément à la réglementation en vigueur, les musulmans de France se sont adaptés à l’utilisation du cercueil », fait valoir M. Moussaoui.

« De même, le rite musulman prévoit une concession à perpétuité. Or le manque de place dans les cimetières a poussé de très nombreuses villes françaises d’arrêter de proposer ce type de concessions », poursuit-il, notant toutefois la possibilité pour une famille d’acheter une concession de 50 ans .

Inhumation en France, un choix  

« De plus en plus, les musulmans souhaitent être inhumés en France. Qu’il s’agisse de ceux qui sont nés en France ou ceux qui ont fait le choix de reposer à leur mort sur cette terre qui les a accueillis et adoptés », relève Mohammed Moussaoui.

Selon le président du CFCM, cette tendance est un « signe fort d’appartenance à une communauté de destin, même si elle ne s’est pas encore totalement substituée à la tendance lourde, qui consiste à rapatrier les dépouilles dans le pays d’origine ».

« Pour certains, le rapatriement n’est pas un choix. Il se fait souvent dans la douleur et le déchirement parce que les familles sont dans l’impossibilité d’inhumer leur défunt en France en respectant les règles rituelles musulmanes, notamment, celles liées à l’orientation des sépultures ».

La question des carrés musulmans est une « priorité pour nous, d’autant plus que la pandémie a accentué le problème », insiste-t-elle, rappelant que la création du cimetière musulman de Strasbourg, en février 2012, n’a été rendue possible grâce à une application ouverte du droit local de l’Alsace-Moselle.

Ce cimetière propose déjà des concessions de type familial. La possibilité qu’une sépulture puisse être partagée par plusieurs défunts de générations successives serait envisageable sous plusieurs formes.

« La recherche d’autres solutions passe par un dialogue continu et permanent  entre les responsables du culte musulman et les pouvoirs publics dans le respect des prérogatives et des missions de chacun », nous précise M. Moussaoui, rappelant avoir déjà saisi le président Emmanuel Macron, le ministre de l’Intérieur, chargé des cultes et l’association des Maires de France.

 

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