Des soupçons de fraude pèsent sur les législatives algériennes

Des soupçons de fraude pèsent sur les législatives algériennes
Non "crédibles" ? La Commission nationale indépendante de surveillance des élections législatives (Cnisel) en Algérie devait susciter un nouvel émoi, jeudi 31 mai, en rendant public son rapport final sur les élections législatives du 10 mai. Selon cette instance mise en place à cette occasion et composée de représentants de 44 partis, le scrutin, remporté haut la main par le Front de libération nationale (FLN), aurait "perdu sa crédibilité au vu des transgressions et des dépassements enregistrés".

Ce rapport, qui a fait l’objet de plusieurs moutures et ne s’appuie pas sur beaucoup de preuves tangibles, ne fait pas l’unanimité au sein de la Cnisel mais, assure au Monde son président, Mohamed Saddiki, "il a été adopté par une majorité des membres et rejeté par les partis proches du gouvernement". Assorti de recommandations, dont "l’assainissement du fichier électoral en relation avec les partis politiques", il réclame l’ouverture d’une enquête sur les résultats enregistrés dans plusieurs wilayas (départements) et revient sur des "bizarreries" constatées lors du vote.

Les bureaux spéciaux ouverts pour les corps constitués (armée, police) sont toujours en ligne de mire. "Le recours abusif aux procurations" et l’inscription en bloc de militaires hors délai auraient permis, selon le site électronique Tout sur l’Algérie (TSA), qui a publié une version du document, de "gonfler les résultats des législatives".

Ce n’est pas la première fois que la Cnisel porte de telles accusations. Au lendemain du 10 mai, la commission, alors saisie de 150 recours – un chiffre, depuis, passé à 400 -, avait déjà fait part de ces critiques. Mais, cette fois, elles interviennent après la validation du scrutin par le Conseil constitutionnel qui, déjà, a corrigé le score obtenu par le FLN, en lui retirant 13 sièges après recours. L’ancien parti unique reste cependant le grand vainqueur du 10 mai avec 208 sièges sur 462, devant le Rassemblement national démocratique, autre parti de la coalition présidentielle (68 sièges).

SESSION MOUVEMENTÉE À L’ASSEMBLÉE

Surtout, le rapport de la Cnisel, qui reproche au chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika, président d’honneur du FLN, d’avoir prolongé la campagne après sa clôture, lors de son discours à Sétif le 8 mai, pourrait conforter les petits partis qui menacent toujours de boycotter les travaux de l’Assemblée pour dénoncer la "fraude" dont ils estiment avoir fait les frais.

La nouvelle Assemblée a d’ailleurs connu, le 26 mai, une première session mouvementée avec le boycottage d’élus islamistes mécontents, puis l’opposition à l’élection de son président. Larbi Ould Khelifa, membre du FLN, 74 ans, était seul en lice et a été élu à main levée. Membre du gouvernement dans les années 1980, plusieurs fois ambassadeur et président du Haut Conseil de la langue arabe, il est désormais le 3e personnage de l’Etat, après le chef de l’Etat et le président du Conseil de la nation (Sénat). La séance a été perturbée par 49 islamistes de l’Alliance de l’Algérie verte, qui ont quitté l’hémicycle en brandissant des pancartes rouges proclamant "Non à la fraude".

Ils ont été suivis par les 28 députés du "Front politique pour la sauvegarde de la démocratie", dont font partie quatre autres formations islamistes, lancé après la proclamation des résultats du 10 mai.
Enfin, au moment de l’élection de M.Ould Khelifa, les 24 députés du Parti des travailleurs (PT, extrême gauche) de Louisa Hanoune ont à leur tour quitté l’hémicycle, arguant qu’ils n’étaient "pas concernés" par cette élection.

C’est dans ce climat délétère qu’un nouveau gouvernement devrait être formé. Près de trois semaines après les élections législatives, le choix par le chef de l’Etat, du futur premier ministre tarde a être annoncé. Jusqu’ici, M.Bouteflika s’est contenté de nommer six ministres intérimaires, en remplacement de ceux devenus députés.

Le plus vieux parti d’opposition, le Front des forces socialistes (FFS), revenu dans la course électorale après des années d’absence, détenteur aujourd’hui de 27 sièges à l’Assemblée, en fera-t-il partie ? Selon des sources algériennes, les discussions sont en cours à ce sujet, mais le FFS, au bord de l’implosion, doit lui-même faire face à une fronde interne.

CRISE INTERNE AU FLN

Une partie de ses militants n’accepte toujours pas la participation au scrutin. Son ex-secrétaire général, Karim Tabbou, a été suspendu de toute activité dans le parti pour avoir "tenu des propos indignes", selon un communiqué du FFS rendu public mercredi. "Il s’agit bel et bien d’une dérive politique d’une direction qui s’est alignée et s’est rendue complice avec le pouvoir en place", avait déclaré M.Tabbou.

Plus étrange encore, la crise interne qui avait secoué le FLN, quelques jours à peine avant les élections, ne s’est pas éteinte, malgré l’écrasante victoire du parti. Son secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, ministre d’Etat, est toujours contesté par une partie de sa direction. Les contestataires ont perdu une première manche mais compte bien en rejouer une seconde le 14 juin, lors de la réunion du comité central du FLN, en déposant une motion de défiance.

"Ces fissures ne sont pas profondes, affirmait au Monde, mi-mai, le secrétaire général du FLN. Nous ne sommes pas dans le cadre d’un débat d’idées, encore moins d’un enrichissement du lexique politique. J’ai renouvelé le bureau politique et c’est à partir de là qu’a commencé la fronde." Bien décidé à défendre son action à la tête du parti, il ajoutait : "Le FLN a un programme, un bilan à présenter, un réservoir d’hommes et de femmes, beaucoup de partis ne peuvent pas en dire autant."

Il reste que les accusations récurrentes de fraude entachent de plus en plus un scrutin, et la victoire du FLN, qu’Alger souhaitait mettre en avant dans le contexte du "printemps arabe". Les premières appréciations, globalement positives, des observateurs internationaux, et notamment européens, avaient permis d’adoucir un temps les craintes. Mais ces dernières pourraient elles aussi faire long feu.

Le 7 juin, aura lieu au Parlement européen une réunion à huis clos consacrée aux élections algériennes, au cours de laquelle plusieurs députés ont bien l’intention de joindre leurs voix aux critiques et de dénoncer "l’indulgence" de la mission européenne.

"Mon hypothèse est qu’elle vient de la crainte qu’un mouvement populaire, émeute ou révolte puissent survenir suite à une remise en cause du caractère démocratique de ces élections dont les Européens auraient été tenus responsables par le pouvoir en place", affirmait, il y a peu sur un site algérien, la députée d’Europe Ecologie-Les Verts Malika Benarab-Attou.

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