Crée en 1990 par l’économiste pakistanais Mahbub el-Haq, qui s’appuyait sur les travaux novateurs dans les années 1980 du futur prix Nobel Amartya Sen, cet indice constituait une nouvelle approche du développement qui s’est avérée féconde. Il s’agissait d’enrichir le seul agrégat en usage à cette date, le produit intérieur brut (PIB), mesure de l’accumulation des richesses matérielles, en lui adjoignant des critères de qualité. L’accent a été mis sur trois indicateurs supplémentaires jugés essentiels dans l’évaluation de l’état général de la société : l’espérance de vie à la naissance censée mesurer le bon niveau de santé générale d’un pays, le taux d’alphabétisation censé évaluer le niveau de l’éducation nationale et le revenu par habitant censé renseigner sur la pauvreté.
Si l’annonce de Amat al-Alim Soswa n’a pas laissé indifférent dans les différentes enceintes du Forum, elle fut aussi accueillie par un : « le Maroc est parmi les dix premiers du classement 2011, et puis après ? », lancé par le Commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, qui signifiait à tous que l’autosatisfaction n’était pas de mise, car, a-t-il ajouté, le chemin à faire est encore long pour combler tous les déficits sociaux dont souffre le pays et tirer de la pauvreté tous ceux qui ont été laissés au bord de la route. M. Lahlimi est précisément un utilisateur très critique de l’Indice de développement humain (IDH). S’il reconnaît l’utilité de cet indice statistique composite, il ne manifeste pas moins ses « réserves » à son égard, estimant que, comme toute statistique, il doit être « contextualisé ».
Ses faiblesses découlent notamment de l’absence d’homogénéité des sources statistiques selon les pays. Dans ces conditions, ni l’espérance de vie à la naissance, ni le taux d’alphabétisation, ni le critère des revenus n’ont le même sens d’un pays à l’autre, et faussent leur rang dans le classement général. Le Maroc a d’ailleurs adressé début 2005 un rapport dans ce sens au Pnud, synthèse d’une rencontre internationale sur le développement humain organisée par le Commissariat marocain au plan en janvier dernier.
Pour établir son rapport 2011, le Pnud a élaboré trois nouveaux critères pour mieux cerner l’IDH : inégalités, équité entre les sexes et pauvreté, tenant compte de la répartition de la richesse et du bien-être au sein des populations. Ils lui ont ainsi permis de dégrader certains pays, placés hauts dans le classement initial, par rapport à d’autres faisant une meilleure place à la solidarité.
Ce rapport 2011 du Pnud révèle que le monde a fait des progrès importants sur l’ensemble des fronts couverts par l’IDH, certains pays en développement rattrapant les plus riches qui avaient plusieurs longueurs d’avance sur eux. L’Afrique continue à pâtir des maladies endémiques comme le sida. Dans le monde arabe, l’Algérie est classée parmi les pays « à développement humain élevé » avec la meilleure note de la région (0,67). Mais si le monde « va mieux », malgré la crise financière la plus violente qui l’a secoué depuis le début du siècle, les inégalités ne s’estompent pas entre le Sud et le Nord, et ont tendance même à s’aggraver dans certains pays du Sud, confrontés aux guerres, aux épidémies et aux conflits ethniques. La Norvège reste le champion du monde de l’IDH devant l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
En soumettant son expérience de développement humain à l’évaluation, cinq ans après son lancement, Rabat ne cherchait pas à recueillir un satisfecit de circonstance, mais à faire pointer les faiblesses de ce « chantier de règne » – comme l’a qualifié le roi Mohammed VI. « L’initiative nationale pour le développement humain n’est ni un projet ponctuel, ni un programme conjoncturel de circonstance. C’est un chantier de règne », avait-il déclaré en le lançant le 8 mai 2005. Il s’articule autour d’axes prioritaires : lutte contre la pauvreté en milieu rural ciblant les communes les plus pauvres, lutte contre l’exclusion sociale ciblant les quartiers pauvres, les médinas en état de délabrement et les bidonvilles, lutte contre la précarité extrême visant les jeunes sans abri, les enfants des rues, les enfants abandonnés, les femmes en situation de grande précarité, les mendiants, les vagabonds, les personnes âgées, complété par un programme transversal de projets structurants mis en œuvre dans les régions et les préfectures.
La première phase de ce vaste « chantier » entre 2005 et 2010 a vu le démarrage de 22 000 projets au profit de cinq millions de bénéficiaires directs dans divers domaines : infrastructures de base, formation, apprentissage, activités génératrices de revenus, et la création de 40 000 emplois. Elle a mobilisé 11 000 acteurs, organisés dans des comités locaux, provinciaux et régionaux de développement humain, adossés à diverses structures d’appui (action sociale et animation). Entre 2005 et 2010, une enveloppe financière de 13 milliards de dirhams a été mobilisée.
Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, est venu à Agadir dire que le monde n’en a pas fini avec la crise qui l’a secoué en 2008, malgré les premières lueurs d’espoir que l’on peut voir au bout du tunnel. Il ne retrouvera pas de sitôt les 30 millions d’emplois perdus dans le séisme financier de 2008. « Il faut réfléchir à une nouvelle mondialisation, observer trois priorités : d’abord l’emploi, ensuite l’emploi et enfin l’emploi », a-t-il ajouté, estimant que les inégalités qui se sont creusées à l’intérieur des pays et entre pays sont « la face sombre » de la mondialisation actuelle. « Les inégalités se sont creusées, les salaires réels ont partout stagné. Aux États-Unis, les inégalités sont revenues à leur niveau de 1929, conséquence d’une croissance économique peu soutenable, tirée par la dette. Il a suffi d’une pichenette financière pour provoquer une crise financière mondiale majeure. Nous sommes au début d’une nouvelle ère. Il ne s’agit pas de tourner le dos à la mondialisation. Mais il faut faire fonctionner le marché en évitant les distorsions provoquées par la main invisible des libéraux. » Avant de proclamer : « il n’y a pas de croissance soutenable sans redistribution de richesses à l’intérieur des pays et entre les pays. »
Philosophe et sociologue, Edgar Morin a appelé à « ne pas privilégier les approches individualistes » dans la recherche de la croissance, à savoir confiance aux savoirs véhiculés par des communautés humaines actuellement marginalisées. « Le savoir n’est pas occidental, il y a des savoirs multiples qu’il faut valoriser et transmettre. »