Algérie: l’écrivain Kamel Daoud gagne un procès contre un imam demandant son exécution
La justice algérienne a condamné mardi à six mois de prison, dont trois ferme, un prédicateur salafiste ayant demandé l’exécution de l’écrivain-journaliste Kamel Daoud pour « apostasie », une décision judiciaire sans précédent.
Ce jugement intervient alors que le journaliste est au coeur d’une polémique des deux côtés de la Méditerranée pour avoir dénoncé le "rapport malade à la femme" dans le monde arabo-musulman.
Kamel Daoud avait déposé plainte pour "menaces de mort" contre l’imam Abdelfatah Hamadache Ziraoui qui avait appelé en décembre 2014 sur sa page Facebook les autorités algériennes à le condamner à mort et à l’exécuter en public.
Cet appel intervenait après une intervention de M. Daoud dans une émission de télévision française, où il avait critiqué le rapport des musulmans à leur religion.
M. Ziraoui dirige le Front de l’éveil islamique salafiste (non reconnu officiellement) et est un habitué des plateaux des chaînes de télévision privées en Algérie.
Kamel Daoud, ont assuré ses proches, estime que la décision du tribunal "devrait réjouir tous les défenseurs de la liberté d’expression" parce qu’elle "permet de baliser ce qui est possible et ne l’est pas en matière de débat idéologique".
Le journaliste, alité à la suite d’une fracture à la jambe, pense aussi que la peine infligée au religieux "n’est pas possible dans d’autres pays musulmans comme le le Yémen ou l’Egypte", selon ses proches.
Le procureur avait requis une peine de six mois de prison ferme ainsi qu’une amende de 50.000 dinars (450 euros) à laquelle a été condamné le prédicateur.
M. Ziraoui, absent au prononcé du jugement, n’a pu être joint.
– ‘Sanction exemplaire’ –
Sa condamnation est "sans précédent", a réagi Me Khaled Bourayou, un avocat ayant défendu de nombreux journalistes depuis 20 ans.
Le Syndicat National des Journalistes (SNJ) s’est aussi réjoui d’une "excellente" décision même s’il la souhaitait "plus sévère".
Elle "aura une vertu pédagogique", "de nature à mettre fin à l’impunité totale des prédicateurs qui appellent au meurtre", a délaré à l’AFP son secrétaire général, Kamel Amarni. "Au moment des faits nous avions réclamé une sanction exemplaire contre ce terroriste – on ne peut pas l’appeler autrement- qui a appelé à l’assassinat d’un journaliste", a-t-il rappelé.
Pour Me Bourayou, "cette condamnation protège le droit à l’opinion et à la conscience, d’autant plus que l’écrivain est également journaliste".
Ce "qui est surprenant", selon lui, "c’est que les pouvoirs publics n’aient pas réagi au moment des faits", alors que "la vie de Kamel Daoud a été mise en danger à cause de cet appel au crime".
Après le dépôt de plainte de l’écrivain, le parquet ne s’était pas constitué partie civile.
Abdelfatah Hamadache Ziraoui, qui milite notamment pour l’interdiction de l’alcool et du port du maillot de bain sur les plages, avait estimé que le chroniqueur menait "une guerre contre Allah, son prophète, le Coran et les valeurs sacrées de l’islam".
Il le jugeait notamment coupable d’apostasie, passible de la peine de mort aux yeux de la loi islamique.
Devant le tribunal d’Oran, où il s’était présenté seul le 1e mars, M. Ziraoui avait maintenu ses propos.
La défense de Kamel Daoud avait demandé une condamnation à une amende symbolique d’un dinar algérien.
Chroniqueur au Quotidien d’Oran, la grande ville de l’ouest algérien où il habite, le journaliste avait été séduit un temps par les idées islamistes avant de s’en détacher.
En février, il a annoncé qu’il arrêtait le journalisme pour "rêver de littérature" après avoir été accusé par un groupe d’universitaires français d’"alimenter les fantasmes islamophobes" à la suite d’une tribune sur les agressions sexuelles commises dans la nuit du 31 décembre à Cologne (Allemagne).