Al-Qaïda en Afrique, les otages et les menaces terroristes en France (Affaires stratégiques)
Les menaces terroristes en Europe et particulièrement en France se sont récemment accentuées même s’il est difficile de savoir dans quelle mesure les risques réels se sont accrus. Sky News et la BBC ont parlé, mercredi 29 septembre, d’attentats déjoués venant du Pakistan en Grande Bretagne, en Allemagne et en France. On a observé ce même jour plusieurs fausses alertes à la bombe à Paris. La presse s’interroge. Y a-t-il danger réel ou surmédiatisation, info ou intox, attitude précautionneuse ou paranoïa ? Y a-t-il des liens avec les enlèvements d’otages français au Niger ?
Sur 20 enlèvements en deux ans dans la zone saharo-sahélienne contrôlée par AQMI, 18 otages ont été libérés et 2 exécutés, notamment Michel Germaneau en juillet dernier à la suite d’une intervention militaire mauritanienne appuyée non officiellement par la France. Il est vraisemblable que pour les 7 otages membres d’Areva et de Vinci enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010 au Niger à Airlit, une opération similaire n’aura pas lieu même si, deux jours après, il y a eu intervention des forces mauritaniennes au Mali.
Cet enlèvement a été revendiqué par Abdou Zaid. Après avoir tenu un discours de fermeté, les autorités françaises ont dit qu’elles attendaient les revendications d’AQMI et qu’elles étaient prêtes à négocier. Le 30 septembre, la chaîne qatarie Al-Jazeera a diffusé les images des 7 otages détenus dans la zone de Timetrine et lancé ainsi un signal à la France. Les solutions ne semblent pas en vue, malgré ce signal positif.
Rappelons qu’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) est une organisation labellisée Al-Qaïda depuis 2007. Elle provient du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) du sud algérien sous l’autorité d’Abdelmalek Drouknel. Son périmètre d’action se situe principalement dans le Sud algérien. Mais, face aux coups de boutoir de l’armée algérienne, la moitié des troupes a été redéployée avec un rôle leader de Yahia Djouadi au Nord Mali, au Nord Niger et en Mauritanie. AQMI s’étend également dans les zones du Nord Nigeria et du Tchad. Il s’agit, en fait, d’une organisation peu centralisée de l’ordre de 500 combattants, composée de groupuscules ou Katibas hétérogènes, constituées d’une dizaine d’hommes. Certaines Katibas se situent dans un djihadisme anti-occidental (notamment celle de Abdelmalek Drouknel ou de Yahaa Abou Hamaze), et d’autres dans des logiques criminelles et mafieuses. Ses moyens financiers viennent principalement de la cocaïne, des rançons, et d’autres activités de trafic.
Les recrutements croissants d’AQMI résultent de leur implantation dans une zone non contrôlée, de la montée d’un radicalisme islamiste et des laissés-pour- compte. Il existe des risques de basculement de certains Touaregs vers AQMI. On note des recrutements récents de Libyens ou de Nigérians. Les sectes islamistes fondamentalistes sont des refuges lorsqu’il y a décomposition des structures familiales et sociales. La montée d’un islamisme militant se développe dans une zone où les opportunités d’emplois et de revenus sont faibles pour les jeunes et où se déploient des activités économiques criminelles. Les recrutements à l’échelle internationale se font via le cyberespace et les communications entre les groupes mobiles par portables avec changement tous les deux jours pour échapper aux contrôles.
La base territoriale de ce mouvement est un immense territoire peu contrôlé, d’une superficie représentant 20 fois celle de la France, où se développent de nombreux trafics notamment de cocaïne (le kg se paie 5000$), de rançons liées aux otages (5 millions $ estimés par otage). Dans cette zone longtemps oubliée par les pouvoirs centraux se développe le chômage. Les activités économiques génératrices d’emplois et de revenus sont d’autant plus difficiles que l’insécurité se développe. Plusieurs mouvements touaregs s’opposent aux Etats des 4 pays concernés même si des accords ont été signés périodiquement avec les autorités centrales. Le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), qui avait revendiqué 4 prises d’otages d’Areva en 2008 et les avait ensuite libérés, a ainsi signé un accord avec les autorités politiques du Niger.
La France est en première ligne du fait de ses accords ou de sa présence militaire mais également de certains intérêts économiques stratégiques notamment de l’uranium exploité par Areva (1/3 de l’approvisionnement français en uranium). Cette firme, dont l’enjeu est stratégique pour la puissance nucléaire française, emploie 2500 personnes dont 99% sont des Nigériens. Cette société avait été accusée à l’époque de Tandja de nouer des liens avec les mouvements touaregs pour assurer la sécurité de son personnel. Elle avait recours à une société privée de sécurité composée d’anciens rebelles touaregs.
Que faire ?
Il existe une vulnérabilité de l’Occident face au terrorisme. Il faut composer avec l’opinion publique, et prioritairement sauver la vie des otages. AQMI gagne dès lors que l’on parle de lui dans les médias, que la peur s’installe en Afrique et en Europe, que ses actions anéantissent le tourisme et d’autres activités rémunératrices en Afrique. Les batailles sont aussi gagnées par la communication. A priori, AQMI n’a pas la capacité logistique pour mener à bien des attentats en France. En revanche, il peut y avoir des réveils de réseaux dormants dans un contexte d’aggravation des tensions entre la France et les mouvements islamiques radicaux.
Les actions militaires peuvent dans certains cas faciliter la libération des otages (ex du GIGN) mais le plus souvent elles favorisent un engrenage de la violence. L’important est le service de renseignement réalisé par les militaires et les services secrets. Cette zone fait l’objet de surveillance importante de la part des Américains (Transaharan initiative), de la France et des pays de l’arc saharo-sahélien.
La coopération militaire entre les quatre pays (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger), les plus concernés par AQMI et par les réseaux criminels, se heurte à des divergences de stratégies et d’intérêts. La France a besoin de la coopération de ces pays pour faciliter la libération des otages. L’Algérie est directement concernée par le rôle des chefs des principales katibas dans le Sud algérien et par son service de renseignement. Elle considère en revanche que les questions de sécurité sont de son ressort et non celui des puissances étrangères. Cette coopération s’impose et tend depuis peu à se renforcer.
Les solutions immédiates visant à la libération des otages sont diplomatiques et passent par des négociations non officielles. Elles se font généralement moyennant contreparties. Le paiement des rançons est une pratique courante dans le monde. Les alternatives lors de négociations sont, soit les libérations de prisonniers, soit des contreparties politiques ou géopolitiques tenues secrètes. Dans le cas des sept otages, il pourrait s’agir de trois émirs de l’ex-groupe islamique armé, GIA, actuellement détenus en France.
Les solutions à plus long terme face à AQMI sont à la fois politiques et militaires. Il s’agit notamment de réintroduire les groupes les moins radicaux dans le jeu politique (ce fut le cas du Mali vis-à-vis des Touaregs dans les années 90). La solution durable est de contrôler immédiatement en amont et en aval les filières criminelles (drogues, armes) et de donner progressivement des perspectives d’insertion aux jeunes laissés-pour-compte, par l’éducation, l’emploi, l’accès à des activités rémunérées. La violence joue de ce point de vue un effet cumulatif dans les trappes à conflits puisqu’elle limite les activités économiques non criminelles (exemple du tourisme, et accélère la marginalisation des jeunes.)
L’important en France est de ne pas stigmatiser les mouvements qui ne se situent pas dans le djihadisme radical et d’éviter toute assimilation avec les questions religieuses ou ethniques. Le discours politique doit rappeler les dangers du terrorisme, susciter la vigilance mais éviter la psychose et évidemment toute manipulation à des fins politiciennes. L’opinion publique française accepterait mal l’exécution de 7 otages dont 5 Français mais elle doit aussi être consciente des menaces liées en partie à
Par Philippe Hugon, Directeur de recherche à l’IRIS
analyse publiée le 4 octobre dans affaires-strategiques.info