Al-Assad reste sourd au fracas de la rue

Syrie . «Complot» et vagues promesses étaient au menu du discours présidentiel, hier à Damas.

La maison Syrie est en feu mais son propriétaire ne semble pas avoir encore pris la mesure de l’incendie. En tout cas, le discours tenu hier à l’université de Damas par Bachar al-Assad et ses promesses de réformes n’ont en rien calmé les contestataires. Ceux-ci ont très vite repris leur mobilisation et retrouvé la rue, notamment dans les villes «dures», comme Homs, Hama ou Lattaquié, mais aussi à Alep, la seconde ville du pays, où la révolte n’avait pas encore vraiment pris.

«Microbes». Trop peu et trop tard. C’est, en résumé, le commentaire des principales figures de la contestation après l’allocution du raïs. Pas de regrets, en effet, sur la violence de la répression, qui a fait environ 1 400 morts, provoqué l’arrestation de quelque 10 000 personnes et la fuite de 10 000 autres en Turquie. Au contraire, dans la salle comble qui l’a accueilli avec des slogans à sa gloire, dans la meilleure tradition des dictatures arabes, il a mis la révolte populaire actuelle sur le compte d’un «complot» ourdi, évidemment, à l’étranger. «Les complots sont comme des microbes qu’on ne peut éliminer, mais nécessitent que l’on renforce notre immunité», a-t-il lancé avec des mots qui rappellent son ancienne qualité de médecin. «Pas de réforme au milieu du sabotage et le chaos», a-t-il poursuivi, tout en appelant à un «dialogue national qui pourrait aboutir à des amendements à la Constitution ou à une nouvelle Constitution». Il a aussi évoqué la possibilité «d’amender certaines de ses clauses, notamment la clause 8», qui fait du Baas le «parti dirigeant de l’Etat et de la société» depuis 1963. Cette proposition d’amendement, qui est l’une des revendications majeures de l’opposition, n’est pas prise au sérieux par les intellectuels syriens. «Ce n’est pas annoncé comme tel, c’est dilué et prononcé du bout des lèvres, souligne Charif Kiwan, un producteur de cinéma. On ne sait d’ailleurs pas comment ce cadre national va s’organiser. Il ne dit rien. Il ne s’adresse même pas directement au peuple, ne serait-ce que pour lui dire "je vous ai compris", comme on pu le faire les présidents tunisien et égyptien.»

Pourquoi, dès lors, ce discours ? «Il s’adresse à Ankara, qui lui a demandé de faire des réformes», ajoute le même intellectuel. A la Turquie et donc à ses protégés, les Frères musulmans, pour laisser croire qu’il peut s’entendre avec eux. D’où une mise en scène qui vise la majorité silencieuse et modérément islamique du pays avec un verset du Coran, emblème de l’université de Damas, que l’on pouvait voir sous le pupitre du raïs. Un symbole rappelant le «Allah akbar» que Saddam Hussein avait fait inscrire sur le drapeau irakien quand la partie s’annonçait perdue.

Gravité. Mais Ankara a-t-il au moins instruit le leader syrien de la gravité de la situation ? A aucun moment Bachar al-Assad n’a montré qu’il affrontait sinon un pays tout entier du moins de larges secteurs de la population. «Assad n’a pas eu un mot de nature à satisfaire les familles des 1400 martyrs ou les aspirations du peuple, qui veut que son pays soit une démocratie», commente Walid al-Bunni, une figure de l’opposition. Même Paris, après un long compagnonnage avec Damas – c’est Jacques Chirac qui avait intronisé le jeune Bachar dans la politique internationale -, semble avoir tourné le dos à l’autocrate. La diplomatie française a tourné casaque. «Certains considèrent qu’il est encore temps, pour lui […], d’engager un processus de réformes. Pour ma part, j’en doute, je crois que le point de non-retour a été atteint», déclarait hier Alain Juppé à Luxembourg.

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