Ahmed Essayad: Zoom sur un grand compositeur à la musique inventive et colorée enseignée en Europe et en Asie

Si les vrais grands hommes sont toujours un objet d’intérêt pour les autres, il serait néanmoins difficile et de surcroît subjectif de s’étaler, en cette fête de musique 2021, sur la carrière impressionnante du compositeur marocain, Ahmed Essayad (84 ans), qui a procuré sa place dans l’histoire musicale française, européenne et méditerranéenne, en inventant une centaine d’œuvres musicales qui puisent leurs racines dans les sphères lointaines de la musique japonaise, hindoue et même des pygmées au Zaïre.

Hasard ou destinée, ce natif de Salé, qui a grandi dans un milieu campagnard dans la région agricole de Meknès, a vécu plusieurs années dans le haut Atlas à travailler sur la musique de cette région montagneuse où les rythmes et les chants s’interpénètrent engageant des voix brutes, vivantes et primitives qui sortent des ventres de ces jeunes femmes campagnardes pour résonner fort dans les hautes cimes, mais surtout dans l’oreille de l’artiste, comme des cris de joie, de peine et souvent d’endurance.

Et c’est là que commence son épanouissement musical avec des sons qui semaient déjà en lui la graine d’une grande passion pour le rythme et pour la phrase musicale. Ses études au conservatoire de Rabat viennent conforter cette passion et la préparer pour une ouverture sur les maîtres de la seconde maison de Vienne, dont Alban Berg, Anton Webern et bien d’autres..

En 1962, Ahmed Essayad quitte le Maroc pour aller approfondir son savoir musical en France, et c’est là qu’il rencontre son professeur Alex Deutsch, lui même disciple du grand compositeur et théoricien autrichien, Arnold Schoenberg. Une relation qui va durer 20 ans et qu’Ahmed Essayad évoque avec beaucoup d’admiration et de respect pour son maître. ‘’Il m’a fallu, révèle-t-il à Atlasinfo, attendre six mois pour pouvoir enfin aborder Alex Deutsch et oser lui parler’’.

‘’L’admiration que j’ai pour certaines formes traditionnelles orales, tout comme pour les grandes œuvres du répertoire classique occidental, m’ordonne comme une sorte de vénération’’, explique Ahmed Essayad en évoquant la multitude de ses potentialités musicales et de ses sources mélodico-rythmiques qui s’étendent aux sphères les plus lointaines.

Un patrimoine culturel et musical universel qui fait de lui l’auteur d’une centaine d’œuvres dont six opéras : ‘’le Collier Des Ruses’’ sur la poésie du poète Perse Badie Zaman Al-Hamadani,’’Voix Interdites’’ sur le texte du maître Soufi Alhallaj, ‘’le cycle de l’eau, ‘’l’habit de Robert le Diable’’, ‘’l’Exercice de l’amour’’ et son dernier ‘’les Voix de la Tassaout’’, sans oublier ses nombreux ensembles instrumentaux, ses musiques de chambre et sa musique électro-acoustique dont ‘’la Muqaddima en 1978’’, ‘’la sonate pour violon et piano’’ en 1974, ‘’Sultanes’’ à la même année, ‘’Identité sur un poème’’ de Mahmoud Darwiche en 1976, ‘’la triptyque de l’eau’’ en 1984, et ‘’Yasmina’’ qui fut sa première œuvre interprétée devant un public et qui était sélectionnée pour représenter la France à la biennale de Paris en 1964.

Rangé injustement dans le placard de l’oubli dans son pays (le ministère de la Culture ne prêtant que peu d’intérêt à la musique savante), l’artiste ne met pas sa carrière en parenthèse pour cela. Il persévère dans son apport artistique avec des formes musicales novatrices et raffinées qui vont permettre d’insuffler un nouvel essor musical à ses œuvres, pour la plupart savantes. Résultat : des merveilles qui sont enseignées dans plusieurs pays en Europe et au Japon, et qui font actuellement l’objet de recherches menées par des musicologues et des étudiants dans ces pays.

De son incessant aller-retour entre la France et le Maroc, de son voyage intérieur, de ses rêves d’ici et de l’ailleurs, l’artiste a construit ses œuvres musicales autour d’une triple identité : la philosophie, le théâtre et la poésie. Le but étant de rapprocher les pays et les hommes, de faciliter les échanges et d’immerger le public dans une intensité musicale insaisissable.

Par Houda Elftachli

Et c’est le  grand musicologue marocain, Ahmed Aydoun qui a résumé si bien le sens et la portée de cette triple identité en apportant ce témoignage : ‘’Avec sa passion originelle pour l’ethnomusicologie, Ahmed Essayad est au carrefour entre deux cultures, il en est résulté non seulement un compositeur de grand talent mais aussi l’un des tenants d’une profonde réflexion sur l’esthétique contemporaine, abordant avec aisance des questions philosophiques, historiques et littéraires relevant aussi bien du passé que du monde contemporain’’.

Autre aspect à considérer dans le personnage de l’artiste : sa passion pour la langue et pour le mot. ‘’La langue me suggère presque tout. Tout naît à partir d’elle : la ligne, le phrasé, les intervalles, le configuré instrumental, tout ce qui composera l’œuvre est tributaire de ce matériau fondateur qui est sous- jacent dans la langue’’, dit il.

Les années et les saisons défilent, mais notre musicologue ne semble pas essoufflé. ‘’Je continue de travailler sur mes œuvres et je le ferai jusqu’au dernier souffle’’, confirme-t-il, avec un sourire asymétrique dévoilant une grosse inquiétude quant au sort de l’art et de la culture au Maroc, en l’absence d’une réelle volonté à promouvoir l’art et ses initiateurs tout en combattant la médiocrité.

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