A la Fifa, Sepp Blatter n’a pas la morale au beau fixe

Le Suisse devait être réélu aujourd’hui à la présidence de l’instance qui régente le foot mondial, malgré les forts soupçons de corruption pesant sur l’institution.

A la Fifa, Sepp Blatter n’a pas la morale au beau fixe
Il y a quelque chose de pourri au royaume de la Fédération internationale de foot (Fifa). Gangrenée par les soupçons de corruption, l’ONU du football va réélire aujourd’hui comme si de rien n’était son président, le Suisse Sepp Blatter, 75 ans, en poste depuis 1998. Non content d’obtenir le soutien de la plupart des confédérations continentales (Europe, Afrique, Amérique latine, Océanie), il a obtenu la suspension de son seul challenger déclaré, le Qatari Mohammed Ben Hammam (président de la Confédération asiatique, la seule à contester l’actuelle direction mondiale). Et Blatter d’oser proclamer, dans une ahurissante conférence de presse, lundi à Zurich, que la Fifa «n’est pas en crise», tout juste en proie à «quelques difficultés qui seront réglées en famille». Dans quel monde vit-il ?

Raout. Les premiers soupçons de corruption ont émergé en marge de l’attribution, en décembre, du Mondial 2018 à la Russie et du raout 2022 au Qatar. Avec des scores dignes d’une élection de maréchal : deux maigres voix en faveur du concurrent anglais pour 2018, une seule pour l’Australie, challenger en 2022. Huit des vingt-quatre membres – un tiers ! – du comité exécutif de la Fifa, en charge de désigner les pays d’accueil du Mondial, ont fait l’objet de soupçons d’achat de votes. Deux ont été suspendus, l’un l’obtenant en appel la levée de sa sanction – le Tahitien Reynald Temarii, car celui-ci, bien que faisant partie du territoire français, est curieusement membre de la Fifa, le diable sait pourquoi.

«L’instance faîtière du football», comme on la nomme outre-Léman, vient de considérer comme nuls et non avenus les soupçons de la Fédération anglaise portant sur quatre autres membres. Lord Triesman, en charge de la candidature pour le Mondial 2018, avait détaillé le mois dernier devant le Parlement britannique comment quatre dignitaires de la Fifa auraient tenté de monnayer auprès de lui divers avantages – une médaille, un centre de formation, des droits télé… Rien n’est vraiment étayé, a balayé lundi Blatter, «heureux» de proclamer l’affaire close. Un fait est cependant acquis : avant le vote, le Qatar avait financé le congrès annuel de la Confédération africaine pour 2 millions de dollars (1,4 million d’euros). L’Afrique est certes un continent pauvre, mais ses hiérarques ont les moyens de se réunir…

Deuxième série de soupçons, en marge de l’élection à la présidence de la Fifa : il s’agit cette fois de séduire les 208 pays membres, quorum électoral élargi. Ben Hammam, en pleine campagne électorale, se rend début mai au congrès de la Confédération des Caraïbes (sous-section de la Concacaf, qui réunit aussi les Amériques centrale et du Nord). Comme d’habitude, le Qatari paie les déplacements et faux frais des hiérarques locaux ; comme d’hab, personne n’est choqué. La Fifa va seulement se réveiller la semaine dernière, dans la dernière ligne droite de la campagne, en découvrant – ou faisant mine de découvrir – qu’un témoin accuse Ben Hammam d’avoir proposé 40 000 dollars à des décideurs. Et de le suspendre dans la foulée, en compagnie du Trinidadien Jack Warner, inamovible président de la Concacaf et vice-président de la Fifa, dont le parcours est pourtant jalonné de casseroles depuis des années. Contre-attaque immédiate de Warner : de passage aux Caraïbes dix jours plus tard, Blatter aurait fait miroiter un million de dollars aux décideurs locaux. Corruption ? Non, simple clientélisme…

«Biaisée». Le président en titre use de son pouvoir financier et réglementaire afin de convaincre ses électeurs. A la tête de la Fifa, il dispose d’une enveloppe de 800 millions de dollars dédiée au développement du ballon dans les pays pauvres. Distribuable à discrétion, tel un père Noël. Au plan réglementaire, Blatter abuse également de son pouvoir : le concept de binationalité, permettant à un footballeur de jouer pour l’équipe de sa mère ou de son père biologique, voire de ses grands-parents, a germé en 2007 de son cerveau fertile, à quelques mois de sa réélection à la présidence de la Fifa : il rafle depuis les suffrages africains (53 membres, autant que les Européens), alors qu’un concurrent de la Confédération africaine s’était présenté contre lui précédemment.

Seul candidat, Blatter a toutes les chances de se succéder. Faute de plan B, la Fédération anglaise propose de surseoir à l’élection. Entraînant cette réaction de Blatter : «Stopper quoi ?» Autre initiative amusante d’un parlementaire australien, cocu du Mondial 2022 : son pays ayant engagé en vain 50 millions de dollars dans une campagne «biaisée», il demande aujourd’hui le remboursement à la Fifa. Seuls les sponsors effarés – la compagnie aérienne Emirates se dit «déçue», Coca-Cola «angoissé» par les accusations de corruption, Adidas considérant que «tout cela n’est pas bon pour l’image du football, de la Fifa et ses partenaires» – pourraient se faire entendre de Blatter. Mais ils ne veulent pas rompre pour autant avec la Fifa, business as usual.

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