En briguant de nouveau la mairie du Havre dans un contexte national tendu, Edouard Philippe défie le vote sanction et joue son poste de Premier ministre, mais aussi son avenir politique dans son propre fief.
Est-ce seulement pour exorciser ses craintes qu’Edouard Philippe martèle depuis des semaines que ces municipales seront pour lui, « humainement comme politiquement », « une élection difficile » ? Une ministre y verrait presque une coquetterie, soufflant que « c’est mieux d’être victorieux quand on s’est fait un peu peur avant ».
Car M. Philippe part favori dans son bastion, dont il est élu depuis 2001 et dont il fut maire de 2010 à 2017, avant de poser ses valises à Matignon.
Un récent sondage l’a d’ailleurs placé en tête au 1er tour avec 42 % des intentions de vote, loin devant ses concurrents, le communiste Jean-Paul Lecoq (25 %) et l’écologiste Alexis Deck (16 %).
Mais l’étude a été effectuée avant que le chef du gouvernement ne décide de déclencher l’article 49-3 pour la réforme des retraites, et avant aussi que la pandémie de coronavirus ne vienne bouleverser le quotidien des Français.
Elu au 1er tour en 2014 avec 52 % des voix, il est six ans plus tard mesuré avec 10 points de moins. D’où un optimisme raisonné de M. Philippe, qui sait qu’une défaite rendrait sa situation intenable à Matignon. « Est-il encore à 42 % ? », s’inquiète un proche.
Les incertitudes restent nombreuses dans cette campagne pour le candidat Philippe, happé par ses responsabilités nationales dont ont encore témoigné, samedi soir, ses annonces dramatiques de fermeture de tous les lieux non essentiels appelés à accueillir du public, dans le cadre de la stratégie d’endiguement de l’épidémie de coronavirus.
Ainsi, ses adversaires parviendront-ils à se coaliser au second tour pour tenter de le battre, en dépit de divergences profondes ?
Quel sera le niveau de participation dimanche, alors que l’abstention avait été extrêmement élevée en 2014 dans le port normand (53 %) ? Ses concurrents parviendront-ils à mobiliser les quartiers populaires pour provoquer un vote sanction ?
Tout en se défendant de vouloir « appuyer sur ce bouton-là », car « sinon on ne parle plus des Havrais », M. Lecoq glisse tout de même: « Edouard Philippe est au pouvoir depuis deux ans et les mauvais coups pleuvent ».
« L’honneur d’être une cible »
En ville, les affichettes siglées CGT et « Gilets jaunes » poussent comme des champignons contre ce « candidat virtuel »: « votez contre Edouard Philippe pour sauver le Havre et la France », proclament-elles. Sa permanence de campagne a été taguée et caillassée, ses réunions publiques précédées de manifestations et de heurts.
« Il y a peut-être des gens qui ont envie de faire campagne sur des sujets nationaux au Havre, c’est leur droit. C’est pas mon choix », rétorque en retour M. Philippe, qui n’a eu de cesse de déminer le sujet sensible de sa double casquette.
Car s’il est élu, le Premier ministre laissera les commandes à l’actuel maire sortant, Jean-Baptiste Gastinne, et ne reprendra son fauteuil qu’une fois son bail à Matignon terminé. Reste à savoir comment sera perçue la manoeuvre par les Havrais.
« Ce n’est pas pour assurer mes arrières comme le disent certains », assure-t-il. « Professionnellement, une fois que j’aurai cessé d’être Premier ministre, ça va aller, je serai employable hein », ironise-t-il en petit comité.
Lui préfère parler de son attachement viscéral au Havre, « la ville où mon père est enterré, le père de mon père, le père du père de mon père ». Le seul endroit « où je peux envisager de me présenter au suffrage universel », jure-t-il, voyant dans le scrutin un moyen d’obtenir une nouvelle légitimation par les urnes.
Et puis « cela peut être utile d’avoir été Premier ministre quand on est maire d’une grande ville », sussure-t-il aussi, par exemple à l’heure où il faut choisir qui de Paris, Le Havre ou Rouen doit abriter le futur siège social des trois ports réunis…
En tout cas, M. Philippe sait que tout résultat en demi-teinte sera exploité politiquement, un proche pestant contre « ces députés bienveillants qui disent que c’est un désaveu s’il n’est pas élu au 1er tour ». Mais au Havre comme à Paris, « on n’abdique pas l’honneur d’être une cible », rétorque M. Philippe.