"Je ne suis pas contre le vote, je suis contre ce scrutin car il ne sert qu’à recycler les hommes de (l’ex-président Abdelaziz) Bouteflika", contraint à la démission en avril par le "Hirak", le mouvement de contestation inédit qui agite l’Algérie depuis le 22 février, affirme Fatiha Bendahmane.
"On aura un nouveau nom mais la même politique qui a détruit l’économie du pays. Je vais marcher aujourd’hui pour dire non au vote avec ce régime", explique cette enseignante de 55 ans qui s’apprête à défiler à Alger à l’occasion du 42e vendredi consécutif de manifestations à travers le pays.
Des barrages filtrants, installés à l’entrée d’Alger, ne laissent passer pratiquement que les voitures immatriculées dans la capitale, a constaté l’AFP en début de matinée.
La marche débutera après la traditionnelle prière du vendredi vers 14H00 (13H00 GMT), mais dès les premières heures du jour, un important dispositif policier s’est déployé dans le centre-ville, comparable à celui renforcé du vendredi précédent : fourgons, bus remplis de policiers, camions à eau et véhicules antibarricades.
Des dizaines de policiers, en uniforme ou en civil, circulent dans le centre-ville.
Selon Amnesty International, les autorités algériennes ont "intensifié leur répression des manifestations" à l’approche du scrutin, en procédant notamment à des "arrestations arbitraires" et à l’emprisonnement de contestataires.
Mais en dépit de cette répression, la contestation ne faiblit pas. Les manifestants s’opposent à une élection destinée selon eux à régénérer un "système" politique au pouvoir depuis l’indépendance en 1962, dont ils veulent se débarrasser totalement.
– Vote "joué d’avance" –
"Comment voter quand ceux qui ont instauré la fraude sont encore au pouvoir?", s’insurge Hassan Bouchair, un retraité, pour qui le vote "est joué d’avance".
Le président par intérim Abdelkader Bensalah et le Premier ministre Nourredine Bedoui, mais aussi le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, qui exerce de facto le pouvoir depuis la démission de M. Bouteflika, sont tous d’anciens hiérarques de l’appareil mis en place par le président déchu.
La marche de vendredi survient après les propos très controversés du ministre algérien de l’Intérieur, Salah Eddine Dahmoune, qui a qualifié cette semaine les opposants à la présidentielle de "traîtres, mercenaires, homosexuels". Des paroles qui ont déclenché un tollé sur les réseaux sociaux algériens.
"Selon le ministre de l’Intérieur, ceux qui marchent sont des homosexuels, alors je vais aller à la +Gay Pride+ et dire non au vote organisé par des gens ayant cautionné des corrompus qui ont pillé des sommes qui donnent le tournis", ironise Aïcha, 62 ans, une fonctionnaire à la retraite, faisant allusion au procès pour corruption d’anciens hauts dirigeants politiques qui s’est ouvert cette semaine à Alger.
Malgré la poursuite de la mobilisation des opposants à l’élection, les dirigeants algériens multiplient les appels à aller voter jeudi prochain et la hiérarchie militaire a à nouveau mis en garde ceux qui tenteraient d’entraver le scrutin ou d’empêcher ceux qui le veulent d’aller voter.
"Je vais voter mais en mettant une enveloppe vide dans l’urne. Aucun candidat ne me satisfait mais je vote. C’est un droit et un devoir", témoigne Amine Souilem, un juriste de 60 ans, qui, lui, ne se joindra pas à la marche de vendredi.
Aucun sondage public n’est disponible en Algérie pour évaluer la possible participation au scrutin, mais l’abstention, longtemps vue comme l’unique voie de contestation d’un régime figé, était déjà forte lors des précédentes élections.
Pour tenter de convaincre, après des décennies de présidents choisis par l’armée et de fraudes électorales, que les choses ont changé, pour la première fois en Algérie les cinq candidats à la présidentielle participeront vendredi soir à un débat télévisé, à 48 heures de la fin de la campagne.
Ce débat sera diffusé en direct sur toutes les chaînes de télévision, publiques et privées, et à la radio nationale à partir de 19H00 (18H00 GMT).