Le dilemme de Charles Pasqua (Le Monde)
Pris séparément, chacun des trois dossiers qui vaut à Charles Pasqua de comparaître devant la Cour de justice de la République, n’apporte pas la preuve irréfutable de la culpabilité de l’ancien ministre de l’intérieur dans les faits de corruption et de recels d’abus de biens de sociaux qui lui sont reprochés. La difficulté, pour sa défense, vient de leur accumulation et de l’effet produit sur la Cour par la galerie de personnages appelés à témoigner.
M. Pasqua détient sans doute le nombre record – sept, dont Jean-Charles Marchiani – de membres de son cabinet ayant fait l’objet de condamnations. A ceux là, il faut ajouter son fils unique, Pierre-Philippe Pasqua qui, après avoir pris la fuite en Tunisie, a été condamné à deux reprises à un an de prison ferme et à de fortes amendes pour avoir perçu d’importants virements sur des comptes bancaires à l’étranger, dont la justice a considéré qu’ils provenaient de rétrocommissions.
Depuis le début des débats devant la Cour de justice de la République, tous ceux qui à des degrés divers, avaient mis en cause Charles Pasqua pendant l’enquête, ont considérablement nuancé leurs déclarations ou les ont démenties, en les mettant sur le compte des conditions de garde à vue qu’ils ont subies et de “l’acharnement” du juge d’instruction Philippe Courroye – actuel procureur de Nanterre – à viser l’ancien locataire de la place Beauvau.
Ces rétractations et les mises en cause des conditions de garde à vue ont d’ailleurs offert à Charles Pasqua l’occasion de “regretter très profondément, en [sa] qualité d’ancien ministre de l’intérieur, un comportement contraire aux droits de nos citoyens”.
Le président de la Cour, Henri-Claude Le Gall, avait apprécié, qui avait lui même observé, après la déposition de l’un des témoins évoquant “les menaces policières, la cellule partagée avec des clochards, le réveil de nuit, les toilettes nauséabondes”: “les juges qui sont là [six députés et six sénateurs] ont donc un témoignage direct de ce qui se passe tous les jours et qui est vécu par des gens qui n’ont pas la même qualité que vous. C’est l’égalité devant la loi…”
Devant la cour, Charles Pasqua répète avec constance avoir tout ignoré des pots-de-vin perçus dans l’affaire GEC-Alsthom par Pierre-Henri Paillet, son ancien conseiller à la SEM 92, puis au ministère, devenu ensuite grâce à lui patron de la DATAR; du généreux système de rétrocommissions dont ont bénéficié le directeur général et le directeur général adjoint de la SOFREMI, Bernard Dubois et Bernard Poussier qu’il avait nommés dès son arrivée place Beauvau à la tête de cette société de ventes de matériel de sécurité alors sous tutelle du ministère de l’intérieur; des dizaines de millions de francs versés par le sulfureux Etienne Leandri au Quotidien du maire, alors dirigé par un de ses proches, le député Jean-Jacques Guillet; des centaines de milliers de francs amicalement consentis par le même Leandri à Bernard Guillet, le conseiller diplomatique du ministre afin de lui permettre l’acquisition de sa résidence principale; et bien sûr des virements via des circuits financiers compliqués effectués, toujours et encore par Etienne Leandri qui les détenait lui-même en partie de Pierre Falcone, sur un compte suisse dont son fils Pierre-Philippe Pasqua était l’ayant-droit.
Le dilemme de Charles Pasqua est cruel: reconnaître avoir eu connaissance de ces détournements engagerait à coup sûr sa responsabilité de ministre. Il se défend donc en rappelant que “les journées d’un ministre de l’intérieur sont lourdes et que l’on ne peut diriger un tel ministère sans faire confiance à ses collaborateurs”. Mais le terrible Charles Pasqua peut-il, à 83 ans, commencer une carrière de gogo?