DSK et les femmes : un secret de Polichinelle
Fidèle à son principe de ne pas parler de la vie privée, la presse française avait épargné le directeur du FMI.
Portable. Je connais DSK depuis que je l’ai suivi dans ses activités européennes, lorsqu’il était ministre des Finances entre 1997 et 1999. A plusieurs occasions, je l’ai vu draguer ouvertement et lourdement des consœurs («Voici mon portable personnel, appelez-moi jour et nuit si vous voulez des scoops, on pourra dîner ensemble.»)
Un peu surpris par un tel comportement totalement inhabituel dans la classe politique française, où la discrétion est plutôt de rigueur, je m’en étais ouvert à mes confrères. Et j’ai appris, sidéré, qu’il s’agissait d’un secret de polichinelle dans la profession : DSK avait depuis longtemps la réputation d’être un «dragueur», chacun ayant son anecdote plus ou moins truculente. Les femmes qui voulaient éviter des ennuis savaient qu’il valait mieux éviter de se retrouver seule avec lui. Si, en France, les hommes qualifient son comportement de «french lover», dans le monde anglo-saxon ou nordique on considérerait qu’il s’agit de harcèlement sexuel, un délit pénal…
Vie privée. Mais en France, on ne parle pas dans la presse de ce qu’on appelle la vie privée : celle-ci n’est pas un objet d’enquête journalistique, même si les politiques n’hésitent pas à s’en servir pour vendre leur candidature ou si leur comportement est proche du délit pénal. Ce qui relève de la vie privée devrait, selon moi, être étroitement circonscrit aux relations entre adultes consentants et s’il n’y a pas harcèlement ou abus de pouvoir de quelque nature que ce soit. En outre, les femmes portent rarement plainte en France pour harcèlement ou même pour tentative de viol : peur du regard des autres, difficulté de prouver les faits, crainte de perdre tout accès au monde politique pour les journalistes qui s’y risqueraient. Or, il me semblait que le comportement de DSK risquait de lui valoir les pires ennuis aux Etats-Unis où l’on ne plaisante pas avec le droit des femmes et où la sphère privée est réduite à sa plus simple expression dès lors qu’il y a possibilité de délit. Je ne voulais pas, en outre, que les médias soient une nouvelle fois accusés de dissimulation si DSK trébuchait à Washington, après la fille cachée de François Mitterrand ou la séparation de Ségolène Royal et François Hollande en pleine campagne présidentielle, deux informations que le Tout-Paris connaissait, mais pas les citoyens. Je savais que je brisais un tabou. Ramzi Khiroun a d’ailleurs osé me demander de supprimer mon papier de mon blog afin «de ne pas nuire à Dominique». Une scène inimaginable dans une démocratie avancée. Ce que j’ai évidemment refusé : «Le retirer serait admettre que j’ai eu tort de le publier. Si DSK n’est pas content, il peut me poursuivre en diffamation.» «Dominique n’a absolument pas l’intention de te poursuivre, Jean. Alors qu’est ce qu’on peut faire ?» Je lui ai donc promis de publier un second papier sur mon blog expliquant le sens de ma démarche, ce qui fut fait deux jours plus tard.
Depuis, je n’ai plus jamais eu de nouvelles de Khiroun. Les sites Internet ont repris à plaisir mes quelques phrases. Le débat ne quittera pas la Toile, du moins en France. L’information sera reprise en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Espagne. Il faudra attendre la nomination officielle de DSK à la tête du FMI pour que la presse écrite française reprenne mon blog. Mais nulle enquête, nulle confirmation, rien : on se contente prudemment de me citer, au cas où.
Eponge. Un an plus tard, l’affaire Piroska Nagy, du nom de la subordonnée de DSK avec laquelle il a eu une courte relation, est révélée par le Wall Street Journal. Il y a manifestement eu harcèlement, comme elle l’écrira dans une lettre que j’ai publiée sur mon blog, mais le FMI passera l’éponge. L’alerte a été chaude, même si, pour la première fois en France, on a évoqué ouvertement le comportement de DSK à l’égard des femmes. Mais cela n’ira pas plus loin : devenu la meilleure chance de la gauche, il n’est pas question d’écorner son image. Jusqu’à ce week-end.