Yassine Belattar « En Marge », mais jamais à côté de la plaque

Dès les premières secondes de son spectacle co-signé avec Thomas Barbazan, l’humoriste donne le ton en voix off. La scène est vide, éclairée en son centre par une lumière blanche : « Moi aussi j’aimerais être dans cette lumière, moi aussi j’aimerais être au centre des choses, mais je suis prisonnier de mon caractère Marrakchi », lance Yassine Belattar. Le 3 juillet dernier l’humoriste polémiste faisait son grand retour sur scène, après le confinement dû à l’épidémie du Coronavirus. Au théâtre des Dix-Heures jusqu’au 1er août.      

Entrée sur scène souriante et bon enfant qui ne laisse en rien présager de l’emballement des idées que l’humoriste va dérouler, une par une, pendant 2h45. Un public cosmopolite, guidé dans la salle peu de temps avant le début du spectacle, par deux ouvreurs précautionneux des règles de distanciation imposées par la pandémie de la Covid-19. Le théâtre des Dix-Heures est un lieu mythique qui a vu se produire Raymond Devos et faire ses débuts Muriel Robin. Yassine Belattar qui en est l’un des propriétaires, discute avec les spectateurs comme s’il les recevait pour une longue conversation autour d’un café à la maison.

Jean-Christophe, Moncef et Alpha choisis au hasard dans la salle, l’accompagneront jusqu’à la fin pour brosser le portrait d’une société du jugement au centre de laquelle les médias occupent une large place, se jouant des sentiments, de l’éthique et de la vérité. Dans « En Marge », cette presse essentiellement sensationnaliste vogue avec ses chroniqueurs politiques auto-proclamés, comme un bateau ivre dans les eaux troubles des discours de la haine, usant de raccourcis et de caricatures pour légitimer le rejet de l’autre et pour être plus précis, le rejet de l’Islam.

Yassine Belattar, l’inclassable

Tout y passe dans « En Marge » avec le parcours de Yassine Belattar en fil conducteur. Yassine l’inclassable, né il y a 38 ans à Conflans-Sainte-Honorine dans les Yvelines et qui refuse qu’on le fasse entrer dans une case ou que l’on prenne des décisions à sa place. Et ne comptez pas sur lui pour baisser la tête surtout s’il vous venait la mauvaise idée de le regarder avec condescendance en le tutoyant. Bernard Kouchner qui se trouvait sur le même plateau de France 2 que lui pour un débat autour de la laïcité, s’y reprendra à deux fois avant d’user du « tu » en direct avec l’humoriste. « Ne soyez pas condescendant », dit Yassine Belattar à l’ancien ministre des affaires étrangères, « c’est fini la colonisation », ajoute-t-il. « Je fais ce que je veux mon gars, tu parles tout le temps », répond Bernard Kouchner qui se verra recadrer simplement par Yassine Belattar avec un : « Mais pourquoi vous me tutoyez ? ». Silence gêné sur le plateau de Léa Salamé.

Bête médiatique à la répartie facile

 Dans une autre émission, il répond à un représentant du Rassemblement National (ex FN) qui est originaire d’Egypte et qui l’accuse de porter le discours des frères musulmans : « Quand mon grand-père tabassait des nazis, le tien buvait du thé tranquillement dans un café du Caire ».
A Éric Zemmour qu’il vient affronter sur le plateau de Cnews en direct, Yassine Belattar dit : « je n’ai pas peur d’Éric Zemmour, je le trouve plutôt navrant. Je suis venu lui dire en face ce que je pense de lui ».
La « grande gueule » qui répond coup par coup et qui enchaîne les combats tel un bulldozer, ne se souciant ni des menaces ni des insultes qu’il reçoit, sans doute Yassine la doit-il en partie à son meilleur ami décédé dans le crash de l’avion d’Ethiopian Airlines l’année dernière, Karim Saafi. L’humoriste lui rend hommage dans « En Marge », saluant le jeune leader afro-européen qu’il était devenu et qui l’avait fait adhérer à une certaine vision du panafricanisme et des rapports entre les pays du Nord et du Sud. Avec Azdine Bousnana, le troisième ami du groupe, probablement que Karim a contribué à mettre un peu de tempérance en Yassine Belattar, l’impulsif qui répond par l’insulte aux insultes qu’il reçoit, notamment, sur les réseaux sociaux.

Yassine, Karim et Azdine : des amitiés qui vous construisent

La disparition dramatique de ce meilleur ami d’enfance a fait le reste dans le recul pris par Yassine Belattar avec les médias. Il a aussi pris de la hauteur dans ses rapports avec le monde politique, lui qui a claqué la porte du conseil présidentiel des villes pendant une nouvelle controverse sur le port du voile.
L’artiste raconte tout cela au public venu le voir avec humour et parfois beaucoup d’émotion. Corrosif, drôle et généreux , il ne se lasse pas de raconter ses déboires, dressant une galerie de portraits désopilante de ceux qui occupent le haut du pavé médiatico-politique qu’il dépeint sans concession : « les gilets jaunes, j’ai commencé à les vannés quand ils s’en sont pris aux femmes voilées », explique-t-il. Christine Angot, Éric Zemmour, Laurent Ruquier, Emmanuel Valls, Zineb el Rhazoui « algérienne née au Maroc », précise-t-il. Tout le monde y passe, et s’il a appris avec le temps à gérer ses colères, la colère n’en a pas pour autant disparue.

Une identité multiple assumée

Dans « En Marge », Il parle aussi de ses espoirs et de sa vision de la société au sein de laquelle tout le monde devrait avoir sa place sans avoir à se justifier. Français et Marocain, Yassine Belattar revendique son africanité à travers le terme Afro-Européen qui est celui qui traduit le mieux sa double culture, dit-t-il.
En marge, mais « en même temps, je n’ai jamais été aussi bien dans le showbiz qu’en étant à côté », s’amuse-t-il à dire. Des projets, Yassine Belattar en a à revendre, lui qui se défini comme un humoriste, producteur de spectacles et de contenus, militant associatif mais aussi comme un investisseur dont les projets résolument en phase avec sa vision de la société et son identité afro-européenne, vont dans le sens de créer des passerelles économiques et culturelles entre les deux continents.

Le Maroc n’est jamais très loin

Nass El Ghiwane
En direction du Maroc, il a plusieurs projets et caresse le rêve de travailler à la préservation du patrimoine de Nass El Ghiwane. Il s’agit d’investir dans le cadre d’une opération de mécénat pour garder vivante la mémoire de ce groupe mythique qui a marqué la génération de ses parents. Une manière de leur rendre hommage, de flatter leur fierté d’être marocains, eux qui ont quitté le Maroc au tout début des années 70. Peut-être seront-ils dans la salle lorsque leur fils se produira à Marrakech dont ils sont originaires. Avec Casablanca et Rabat, la ville ocre sera l’une des étapes de sa tournée au Maroc prévue en décembre prochain.

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