Ce grand coup de projecteur, il fallait que ses fans et ses promoteurs le rentabilisassent, afin qu’à propos de Twitter on continue de tweeter. Alors, mercredi dernier, dans les pages de ce journal, cet entrefilet annonçant une OPA du réseau sur le Ulysse de James Joyce, à l’occasion du Bloom’s Day que l’Irlande célébrera le 16 juin. Objectif annoncé, dans la catégorie Concours à la con : résumer «une section de l’œuvre» (dont l’entièreté compte deux volumes de 503 et 537 pages très serrées dans ma vieille édition de poche de 1978), préalablement tronçonnée en 96 parties, en quatre cents à six cents tweets. Formidable gageure, en vérité, mais dont la performance attendue ne sera que quantitative, que réaliseront vingt-quatre heures durant «des volontaires» moins motivés, hélas, par l’exégèse de Joyce que par une mention dans le Guinness Book…
Dommage. On a beau être un vieux schnock modérément familier des modernes technologies, on ne méprise pas leurs détournements joyeusement ludiques, dont l’Oulipo (OUvroir de LIttérature Potentielle) nous servit d’édifiantes démonstrations. Et voilà qu’avec les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon, on se remémore avec émotion ce résumé puissant et subtil de Don Juan, livré – en 1969, je crois – dans la copie d’un lauréat du Concours général, catégorie composition française : «C’est un mec, il croit pas en Dieu. Une statue lui casse la gueule.» Soit, bien des lustres avant même l’intuition de Twitter, l’œuvre entière résumée – et avec quelle impeccable cohérence ! – en 67 caractères. Qui dit mieux ?