"Nous ne pouvons pas rester les témoins passifs" de ce qui se passe en Syrie, a déclaré mercredi le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, évoquant "certaines sanctions" contre ce pays où la répression a fait plus de 3.000 morts depuis la mi-mars, selon l’Onu.
M. Erdogan n’a pas précisé ce qu’il envisage contre le régime de celui qu’il qualifiait l’an dernier encore d’"ami", et avec lequel il organisait des conseils ministériels conjoints, abolissait les visas et ouvrait les portes du commerce.
Annoncées début octobre comme imminentes, ces sanctions n’ont pas encore été dévoilées et le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu parle maintenant de "mesures".
"La Turquie n’est pas favorable aux sanctions en général. Elle redoute sans doute que les Occidentaux l’invitent à les rejoindre sur le terrain des sanctions contre l’Iran, qu’elle a rejetées", note l’analyste Sinan Ãœlgen, basé à Istanbul.
"Mesures" donc plutô t que sanctions. Certaines sont engagées.
Lassée de réclamer des réformes à Damas, le gouvernement islamo-conservateur turc a ainsi accueilli plusieurs réunions d’opposants syriens, et le 18 octobre, M. Davutoglu a rencontré le Conseil national syrien, qui rassemble une bonne partie de l’opposition.
La Turquie accueille aussi des déserteurs, parmi les 7.500 Syriens réfugiés
sur le sol turc.
Le plus connu est le colonel Riad al-Asaad, qui affirme diriger une "Armée libre de Syrie", et demande une "aide militaire" face au régime de Damas.
A l’inverse de toutes les pratiques concernant les réfugiés, le colonel Asaad est autorisé à parler aux médias. Mieux, ces entretiens sont organisés et sélectionnés par le ministère turc des affaires étrangères.
Le colonel Asaad assure que l’"Armée libre de Syrie" mène des opérations, avec les armes qu’elle récupère.
Les entrées et sorties des Syriens sont libres à la frontière turque, mais "personne n’est autorisé à traverser avec des armes", a répondu un responsable du ministère des affaires étrangères, auquel l’AFP demandait si le colonel Asaad recevait des armes, cô té turc.
Quel que soit le rô le exact de ce colonel, l’importance qu’on lui donne en Turquie atteste de la détermination de ce pays à lutter contre le pouvoir de Damas.
"La Turquie juge que la durée de vie du régime syrien est limitée, donc elle aide l’opposition, y compris armée. Elle a perdu espoir de se faire entendre auprès de Damas", explique Sinan Ãœlgen.
Parmi les mesures envisagées par Ankara figure la création d’une zone tampon militarisée en territoire syrien, pour sécuriser la frontière et absorber un afflux massif de réfugiés en cas de guerre civile en Syrie.
L’option a été envisagée dès l’été, a affirmé à l’AFP le journaliste Mehmet Ali Birand.
Interrogé début novembre par le Financial Times sur une zone tampon ou une zone d’interdiction aérienne, M. Davutoglu est resté vague.
"Nous espérons que de telles mesures ne seront pas nécessaires, mais bien sûr les questions humanitaires sont importantes", a-t-il déclaré.
Le gouvernement turc a de nombreuses raisons d’intervenir sur le dossier syrien.
Comme l’a rappelé M. Erdogan mercredi, la frontière commune s’étire sur plus de 800 km. Les risques de déstabilisation sont importants. Des deux cô tés vivent d’importantes communautés kurdes.
"Cô té turc, on pense que la Syrie tente d’utiliser la carte PKK", les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan, qui multiplient leurs attaques contre les forces turques, estime Sinan Ãœlgen.
"On assiste à une montée en parallèle du terrorisme du PKK et de la colère turque vis-à-vis de la Syrie", renchérit Akif Beki, ancien conseiller de presse de M. Erdogan, dans le journal Radikal.
Autre raison de taille pour M. Erdogan d’agir en Syrie: les Etats-Unis.
Washington, qui aide l’armée turque à lutter contre le PKK, a demandé en septembre à son allié turc de l’Otan d’exercer "davantage de pression" sur le régime syrien.