Tunisie: le Parlement approuve un gouvernement de technocrates
Les députés tunisiens ont approuvé mardi un gouvernement de technocrates, le second cabinet en six mois, écartant la possibilité d’une dissolution sans pour autant mettre fin aux tensions politiques dans la jeune démocratie.
L’équipe constituée par l’ex-ministre de l’Intérieur Hichem Mechichi, composée de juges, universitaires, fonctionnaires et cadres du privé, a obtenu 134 voix sur 217 dans la nuit de mardi à mercredi.
« Je suis fier de ce soutien », a déclaré M. Mechichi à l’AFP à l’issue du vote, ajoutant que le gouvernement pourra « avancer sur les problèmes économiques, du moment qu’il ne se retrouve pris dans aucun tiraillement politique ».
Après un bras de fer entre le président Kais Saied, un universitaire farouchement indépendant, et la formation d’inspiration islamiste Ennahdha, principal bloc parlementaire, M. Saied avait chargé fin juillet M. Mechichi de composer une équipe apolitique, à contrecourant des principaux partis.
Mais c’est paradoxalement grâce à Ennahdha et à ses alliés, dont le parti libéral Qalb Tounès, que M. Mechichi arrive au pouvoir, un retournement augurant de nouvelles tensions.
« M. Saied voulait un Premier ministre à ses ordres, la présidence est beaucoup intervenue dans la composition du gouvernement, et M. Mechichi a fini par se retourner et aller chercher le soutien des partis pour s’affirmer comme chef du gouvernement », explique Hamza Meddeb, expert pour le centre Carnegie.
Pour le président du Parlement et chef de file d’Ennahdha Rached Ghannouchi, l’Assemblée « a montré qu’elle était le coeur du pouvoir dans ce pays ». Ce gouvernement « peut régler les problèmes économiques, sanitaires, sécuritaires, je suis persuadé de sa réussite », a-t-il ajouté.
Ennahdha, Qalb Tounes et d’autres ont néanmoins exprimé d’importantes réserves sur le cabinet, qu’ils espèrent remanier rapidement.
Réformes
Les ministères régaliens ont été confiés à trois spécialistes du droit, sans carrière politique et inconnus du grand public.
Le ministre de la Défense, Ibrahim Bartagi, est un professeur de droit exerçant dans l’université où travaillait M. Saied. Mohamed Boussetta, ministre de la Justice, est un magistrat. Taoufik Charfeddine, ministre de l’Intérieur, est un ex-avocat, pilier de la campagne électorale du président à Sousse.
Au total, le gouvernement compte 25 ministres et trois secrétaires d’Etat, dont huit femmes, et pour la première fois un ministre non-voyant: Walid Zidi, un enseignant chercheur nommé ministre de la Culture.
Avant le vote, M. Mechichi, un énarque de 46 ans, a présenté ses priorités: arrêter l' »hémorragie » des finances publiques en relançant notamment la production de pétrole et de phosphate –entravée par des manifestations de chômeurs–, mais aussi réformer l’administration tunisienne et protéger les plus démunis.
Ce vote écarte la perspective d’une dissolution de l’Assemblée moins d’un an après son élection, qui aurait risqué d’exaspérer une opinion publique préoccupée par la situation économique du pays.
« Crise »
Ennahdha « a trouvé quelqu’un avec qui elle espère pouvoir faire des compromis », souligne M. Meddeb. Mais « il y a une cacophonie au sommet de l’Etat, on entre dans une crise, et Kais Saied risque de mener la vie dure à ce gouvernement ».
Dix ans après la révolution, la Tunisie poursuit sa démocratisation, fragilisée par les luttes politiciennes et sa difficulté à réformer son économie.
Le Parlement élu en octobre 2019 est composé d’une myriade de partis antagonistes, qui peinent à constituer une coalition gouvernementale cohérente.
Le gouvernement de Mechichi sera chargé de reprendre les discussions avec le Fonds monétaire international, dont le programme quadriennal a expiré au printemps, alors que la Tunisie peine à boucler son budget.
M. Mechichi a mis en garde contre une situation « difficile » et des « indicateurs dangereux », avec un endettement de 80 milliards de dinars, et une somme de 7,5 milliards de dinars (environ 2,5 milliards d’euros) à rembourser en 2020.
Il devra également faire face au chômage, propulsé à 18% par la crise sanitaire qui a mis le tourisme à l’arrêt, au rebond de la pandémie, et aux déficits de l’important secteur public, une gageure en l’absence d’un solide soutien parlementaire.
Selon le dernier bilan publié par les autorités, 3.803 cas –dont 77 décès– de nouveau coronavirus ont été enregistrés depuis le début de la pandémie en Tunisie, un nombre qui a doublé en moins d’un mois.