Tunisie: 10e anniversaire morose pour la révolution

Quelques concerts, et des manifestations: le dixième anniversaire du déclenchement de la révolution qui a mis la Tunisie sur la voie de la démocratie a été marqué dans la morosité jeudi, tant les espoirs tardent à se concrétiser.

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant excédé par le harcèlement policier, s’est immolé par le feu sur la rue principale de Sidi Bouzid, ville marginalisée du centre de la Tunisie, déclenchant un mouvement de contestation sans précédent.

Le soulèvement fit quelque 300 morts dans le pays, mais les manifestations finirent par chasser du pouvoir le président Zine el Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, et par s’étendre à d’autres pays de la région, faisant tomber plusieurs autocrates.

Si la démocratisation de la Tunisie est largement saluée, l’espoir a cédé la place à la colère au fil des ans, en l’absence d’amélioration sociale.

Le pays s’est doté en 2014 d’une Constitution saluée comme un compromis historique, posant les bases d’un régime semi parlementaire. Il a poursuivi ses avancées politiques, avec des élections équitables, un début de décentralisation et une liberté de parole sans précédent, en dépit de crises politiques et d’une série d’attentats terroristes sanglants en 2015.

« La Tunisie est théoriquement une démocratie désormais, mais une série de gouvernements de technocrates ont peiné à faire changer les choses et équilibrer les intérêts de l’élite traditionnelle avec ceux de la population défavorisée » souligne l’Institut Transnational, un laboratoire d’idées basé à Amsterdam.

 « Bande de voleurs ! »

 

Des centaines de personnes ont manifesté jeudi à Sidi Bouzid pour réclamer du travail, l’un des slogans phare de la révolution.

« Le travail est un droit, bande de voleurs! », ont notamment scandé des manifestants devant la sculpture de la charrette de Mohamed Bouazizi, qui trône toujours dans le centre-ville mais n’incarne plus un avenir meilleur.

Des manifestants ont brandi un cercueil sur lequel on pouvait lire: « chômeur âgé de plus de 45 ans sans sécurité sociale ».

Le chômage continue à ronger les rêves d’une large part de la jeunesse, surtout dans les régions marginalisées, où de nombreux habitants sont toujours cantonnés par un système d’autorisations kafkaïen à l’économie informelle, sans droits ni protection sociale.

Les salaires, bas, sont grignotés par l’inflation, et l’instabilité politique annihile l’espoir de voir se concrétiser des réformes de fond.

« Nous vous avons préparé la route vers la liberté, mais vous avez pris une déviation », peut-on lire sur de grandes affiches placardées en centre-ville.

Aucun responsable politique n’a fait le déplacement, même pas le président Kais Saied, un universitaire revendiquant les idéaux de la révolution, élu en octobre 2019 sur fond de rejet des dirigeants au pouvoir depuis 2011.

« L’absence du président de la République, du chef du gouvernement et celle du président de l’Assemblée des représentants du peuple n’a qu’une seule explication: ils n’ont pas tenu leurs promesses donc ils n’osent plus se confronter à nous », estime un marchand ambulant, Fethi Ziadi.

La classe politique, plus fragmentée que jamais depuis les législatives de 2019, se déchire sans parvenir à passer à l’action alors que l’urgence sociale s’accentue, avec les retombées dramatiques de la pandémie de nouveau coronavirus.

Les Tunisiens représentent actuellement la moitié des migrants arrivant illégalement en Italie: les traversées clandestines de la Méditerranée sont reparties à la hausse depuis 2017, face au manque de perspectives.

« Plus la patience »

 

Sidi Bouzid et la ville voisine de Kasserine étaient sous haute surveillance policière jeudi, tout comme Tunis.

Dans la capitale, une vingtaine de victimes des dictatures passées ont réclamé devant le siège du gouvernement les procès et indemnisations promises.

Des manifestations ont également eu lieu jeudi dans plusieurs villes du centre marginalisé du pays, de Kasserine à Gabès en passant par Sbeïtla, pour réclamer des emplois, des investissements ou des services publics de base.

Le principal parti –d’inspiration islamiste–, le mouvement Ennahdha, peine à constituer une majorité stable au sein d’une Assemblée où siègent une multitude de formations. Les débats dégénèrent régulièrement, et des coups ont été échangés la semaine passée.

Même M. Saied, qui a été élu « avec beaucoup d’espoir, est en train de décevoir une partie de l’électorat », souligne le politologue Hamza Meddeb.

« Les gens n’ont plus la patience d’entendre des discours, ils veulent des actions concrètes, là, maintenant et tout de suite! ».

 

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