La présidentielle anticipée du 15 septembre est-elle une preuve que la Tunisie continue à se démocratiser ?
Les élections seront-elles équitables ?
Les observateurs tunisiens et internationaux écartent la perspective de fraude systématique pour la deuxième présidentielle au suffrage universel de l’histoire du pays.
Des dépassements ont été constatés dans un passé récent, comme lors du scrutin de 2014, mais les observateurs avaient alors estimé que ces lacunes n’avaient pas altéré le résultat de l’élection.
En revanche, nombre d’observateurs et acteurs politiques ont exprimé leur préoccupation quant au moment choisi pour incarcérer l’un des principaux candidats, Nabil Karoui.
Ce publicitaire est poursuivi de longue date pour "blanchiment d’argent", et son arrestation dix jours avant la campagne relève d’un "mauvais réflexe de politique à l’ancienne", estime un élu sous couvert de l’anonymat.
M. Karoui a accusé le Premier ministre et candidat Youssef Chahed d’avoir instrumentalisé la justice, après avoir échoué à écarter cette personnalité controversée par une modification du code électoral. M. Chahed a catégoriquement démenti.
"Ces élections sont extraordinairement ouvertes, c’est la preuve qu’il y a une véritable liberté de se présenter", estime toutefois Selim Kharrat, de l’observatoire politique Al-Bawsala.
Ce scrutin est un "test" pour la démocratie car il "pourrait nécessiter d’accepter la victoire d’un candidat clivant", tel que M. Karoui, ajoute la chercheuse Isabelle Werenfel, de l’Institut allemand pour les affaires internationales (SWP).
Les candidats sont-ils tous des démocrates ?
Plusieurs candidats, comme l’avocate Abir Moussi, chantre du RCD, l’ex parti du dictateur déchu Zine el Abidine Ben Ali, estiment que les libertés acquises depuis 2011 ne pèsent pas lourd face aux difficultés économiques qui se sont accentuées.
Nombre de prétendants réclament un renforcement des prérogatives du président, avec le risque de dérapage que cela comporte dans un pays qui a été dirigé pendant des décennies par des hommes forts sans contre-pouvoirs.
Ces velléités sont renforcées par l’inversion du calendrier électoral après la mort du président Béji Caïd Essebsi, avec des législatives survenant après le premier tour de la présidentielle.
"L’accent excessif mis sur le président modifie de facto le système, en affaiblissant le Parlement", censé primer en vertu de la Constitution de 2014, avertit Mme Werenfels.
"C’est une démocratie où les démocrates n’ont que peu de poids électoralement, comme c’est souvent le cas dans les transitions", analyse pour sa part le politologue Hamza Meddeb.
La Tunisie peut-elle retomber dans la dictature ?
Malgré la lassitude face aux querelles politiciennes et à la crise économique, "il n’y aura pas de retour en arrière, aucune dictature ne pourra s’imposer dans le pays", juge l’éditorialiste Zied Krichen.
La liberté de parole est un acquis désormais solidement ancré, bien que ses abus soient régulièrement décriés. Dans le dernier classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), la Tunisie (72e) figure en tête des pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, devant Israël et le Liban.
Quasiment une décennie après la révolution, une première génération de Tunisiens n’imagine pas la vie autrement qu’en démocratie –et parmi eux, les piliers d’une société civile très active, qui a obtenu une certaine transparence du Parlement ou encore accentué la lutte contre l’impunité des forces de l’ordre dans les cas de torture.
Mais les recommandations publiées début 2019 par l’Instance vérité et dignité (IVD), organe de justice transitionnelle créé en 2014 pour traiter des crimes de la dictature, sont restées lettre morte jusque-là. Le gouvernement est censé proposer un plan d’action d’ici la fin de l’année, notamment sur la réforme de la police et de la justice, qui furent des rouages du système Ben Ali. Mais nombre de responsables politiques se sont montrés très réticents voire ouvertement opposés à l’IVD.
Des obstacles sérieux doivent être levés pour que la transparence et l’équité obtenues dans la vie politique le soient aussi dans d’autres domaines, notamment l’économie, souligne par ailleurs un rapport du SWP en mars.
"Le risque est que la Tunisie devienne un régime hybride, avec des éléments démocratiques mêlés à des réflexes autoritaires et des mesures parfois antidémocratiques", avertit l’institut allemand SWP.
"Réformer les institutions de l’Etat et les structures économiques particulièrement corrompues est impératif pour s’assurer de la stabilité sociale et politique".