« Les yeux de l’exil, El Moro Jaime» de Abdelhamid Beyuki

« Les yeux de l’exil, El Moro Jaime» de Abdelhamid Beyuki
Par miracle, l’avion de la RAM a décollé ce 31 mai de Paris-Orly presque à l‘heure. Pour chasser l’ennui quelques journaux pouvaient faire l’affaire. Mais, c’est un écrit d’une centaine de pages, d’une bonne tenue, qui va faire mon bonheur.

Avec un titre évocateur, « Les yeux de l’exil » et un sous titre, « El Moro Jaime», que les intimes de Saîd (nom d’emprunt de l’auteur) se plaisaient à répéter à loisir, le Roman (Edition la Croisée des Chemins, 2013) de Abdelhamid Beyuki est une petite merveille. Une écriture fluide, car épurée de tout superflu, qui ruisselle merveilleusement bien, transporte le lecteur d’un état à un autre, l’interpelle par moment ou le surprend au tournant. Vingt et Un chapitres et autant de sensations.

L’angoisse lorsque la petite embarcation se lance au petit matin d’un jour de mars 1984, caressant la mer bleue et traversant en silence les premiers rayons du soleil pour emmener le fugitif Saîd vers l’autre Rive, loin de Martil, de Tétouan ou encore de Rabat où il poursuivit ses études. Ce départ précipité il le doit à la police qui cherche à l’intercepter comme tant de jeunes, suite à la « révolte du pain » de 1984 qui a agité plusieurs grandes villes marocaines.

La peur et la « sueur froide » lorsque l’affreux flic à la « longue moustache» noire s’obstine à le poursuivre dans ses rêves et lorsque tout devient cauchemar, la nuit dans la pension de la veille Abuela, et rappelle l’année 1984 où il a réussi à quitter Rabat pour échapper à l’arrestation et à la prison.

La poésie aussi lorsque le Romain débute sous le patronage de Mahmoud Darwich et de ses fameux vers qui rappellent les affres de l’exil et de l’éloignement : Je suis de là-bas. Je suis d’ici et je ne suis ni là-bas ni ici. J’ai deux noms qui se rencontrent et se séparent, deux langues, mais j’ai oublié laquelle était celle de mes rêves ».

L’amitié et la fidélité lorsque le chilien Fernando, l’iraquien Khalid le sabéen, ou le jeune avocat espagnol, Daniel, le Paisano, l’aident à se loger, à organiser un meeting ou encore lorsqu’il s’agit pour Saîd d’apporter assistance, au péril de sa vie, à deux camarades condamnés à 30 de prison pour leur participation au soulèvement de 1984, pour sortir clandestinement du pays vers l’Espagne, par la porte de Sebta (Ceuta).

La douceur et l’humanité sont présentes sous les traits de la vieille aubergiste Abuela et la religieuse Maruxa chargée du suivi de la demande d’exil de Saîd.
L’étonnement lorsque la belle Suédoise (Cécile) aux yeux bleus est contrainte d’attendre son tour dans une salle d’accueil de la Croix Rouge pour demander l’asile politique. « Je ne suis pas folle » dit-elle à Saîd qui l’interpelle en plaisantant, étonné qu’une Suédoise demande l’exil à un pays qui sort à peine de la dictature franquiste. « C’est vrai, tu penses que je suis folle. Les véritables fous sont assis sur les trônes du pouvoir politique, médiatique et financier et même du pouvoir de juger qui est exilé et qui est fou, qui est la victime et qui est le bourreau. Ils brûlent le monde. Moi, je ne rêve que du soleil et je ne demande que ma part de sa chaleur et d’en profiter ».

L’humour lorsqu’on voit le vieux Manolo, attablé au comptoir de « la Théière d’Argent » (Tacita de Plata), comme de coutume, glosant sur les silhouettes des dames, fredonnant des morceaux de flamenco et sirotant sa bière, ou encore le policier Javier, tiraillé entre sa femme et sa maitresse, ivre de vin et de colère contre les jaloux et les médisants qui fréquentent l’endroit.

L’amour qui emporte, qui rend heureux et audacieux (discours de Saîd lors d‘un meeting) lorsque la belle Isabel est à proximité, souriante et aimante et qui fait pleurer lorsqu’elle décide de partir loin de Saîd, non pas à cause de son infidélité, mais surtout craignant « que leurs différences culturelles, cultuelles et éducatives ne transforment leur vie commune en un enfer».

Ce voyage à travers les vingt et Un chapitres du Romain est à la fois plaisant et éprouvant. Il donne la mesure d’une époque et d’une race de militants, d’exilés et d’immigrés, vieux dinosaures, aujourd’hui en voie de disparition.

Dans « Les Yeux de l’exil », l’auteur, Abdelhamid Beyuki, militant rigoureux qui ne badine pas avec les principes lorsqu’il s’agit de défendre les droits légitimes des Marocains du Monde et les causes de la nation, fidèle en amitié et d’une honnêteté intellectuelle irréprochable, dévoile une autre facette de sa personnalité : un romancier hors paire.

Bon vent pour le Roman et plein de bonnes choses pour Abdelhamid, l’ami, « El Moro Jaime».

Par : Mohammed Mraizika
Chercheur en Sciences Sociales
Directeur du Centre International Interdisciplinaire de Recherche et d’Initiative (CIIRI-Paris)

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