Toilette mortuaire, funérailles…Les rites musulmans à l’épreuve de coronavirus

Si les évènements heureux peuvent attendre des jours meilleurs, quid de la toilette mortuaire, des funérailles ou du rapatriement d’une dépouille ? Le président du CFCM, Mohammed Moussaoui, revient sur ces questions délicates et douloureuses, alors que la pandémie de coronavirus fait de plus en plus de victimes. Entretien:

Atlasinfo: Vous avez eu une réunion en audioconférence avec le président de la République sur la pandémie de coronavirus. Quelle en a été la teneur ?

Mohammed Moussaoui:  Lors de cette réunion à laquelle participaient les représentants des cultes, ainsi que le ministre de l’Intérieur, chargé des cultes, il a été question de la crise de coronavirus et de ses implications. Pour ma part et au nom du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), j’ai demandé au président de la République la création de nouveaux espaces dédiés aux victimes du Covid-19. Cette démarche du CFCM, unanimement soutenue par les autres représentants des cultes, est intervenue dans la perspective d’un éventuel manque d’espaces de sépultures musulmans dans les cimetières municipaux.

M. Macron nous a assuré que tout sera mis en œuvre pour permettre aux défunts de toute confession et de toute condition d’être inhumés dans le respect de leurs rites respectifs. Les seules limites, celles qui visent à protéger les vivants et à limiter les effets de cette épidémie, sont déjà mises en œuvre avec le concours des différentes communautés religieuses.

Sur les rumeurs qui circulent sur une prétendue pratique généralisée de crémation dans les jours à venir, le président a tenu à rassurer les familles qu’une telle éventualité est complètement écartée.

S’agissant de la célébration des grands moments à caractère religieux , il a appelé les responsables de culte à prendre en compte l’impossibilité de rassemblements physiques dans les semaines à venir et à y préparer leurs coreligionnaires.

Plus généralement, le confinement actuel devra très probablement durer longtemps. La solidarité à l’égard des plus vulnérables parmi nos concitoyens doit être l’affaire de tous. Les réseaux associatifs ont besoin plus que jamais de soutien et de moyens.  Un plan de continuité « du relationnel » au sein de nos différentes communautés et entre les citoyens doit être mis en place également.

A ce titre, l’idée de plateformes téléphoniques d’écoutes psychologique et spirituelle a été posée. Le président a été très attentif à cette proposition mais sans impacter le numéro vert unique 0800 130 000 dédié à l’épidémie.

Face à la propagation de l’épidémie, quelles sont les adaptations que vous préconisez pour que l’accomplissement du rite musulman soit possible, dans le cadre des règles d’hygiène et de sécurité imposées par les autorités sanitaires ?

M.M:  D’une manière générale, la tradition musulmane a prévu, dès ses débuts, l’adaptation des règles et normes religieuses aux situations exceptionnelles telles que les épidémies. L’objectif essentiel étant de protéger la vie sous toutes ses formes.

S’agissant des rites funéraires, notamment la toilette mortuaire, il est prévu en cas d’impossibilité du lavage on se contente du versement d’eau sur le corps. En cas d’impossibilité du versement, il faut passer aux ablutions sèches (tayammum). Celles-ci consistent à poser ses deux mains sur le sol, ou sur une pierre, puis laver symboliquement les mains et le visage du défunt. Si les médecins interdisent tout contact du personnel funéraire avec le corps du défunt, comme c’est le cas en cette période de pandémie, la toilette mortuaire doit être abandonnée. La tradition musulmane considère que c’est aux experts de définir les limites dans lesquelles un rite pourrait s’accomplir.  Pour sa part, le CFCM a réagi très vite à la situation en publiant un texte faisant état de l’avis du Haut Conseil de la santé Publique(HCSP) et les adaptations prévues par la tradition musulmane.

Des personnes de confession musulmane émettent le souhait d’être enterrées dans leur pays d’origine. Or, les rapatriements des corps sont interdits. Avez-vous été saisi sur cette question sensible par des familles ?

M.M: Avant même qu’il soit saisi par les premiers cas, le CFCM a publié un communiqué pour rappeler la réglementation en vigueur et les aménagements prévus dans la jurisprudence musulmane. La deuxième limite, après celle de l’impossibilité de procéder à la toilette mortuaire, celle posée, à juste titre, par les experts du (HCSP), concerne l’enveloppe du corps par un linceul. Celui-ci, habituellement en tissus, est remplacé par une housse mortuaire étanche hermétiquement close. La housse mortuaire est ensuite désinfectée puis recouverte d’un drap qui fait office de linceul. Une fois transféré en chambre mortuaire, le corps est déposé en cercueil et est procédé sans délai à la fermeture définitive de celui-ci. En d’autres termes, le personnel funéraire ne peut intervenir qu’une fois le cercueil est définitivement scellé.

Tout cela est conforme à la tradition en situation d’exception. Il vient ensuite la question de rapatriement. La réglementation internationale limite drastiquement l’acheminement des défunts en période de pandémie. Des possibilités de rapatriement par avion cargo sont aussi très encadrées. Il faut notamment produire un certifiant attestant que le décès n’est pas dû à une infection contagieuse. Et comme les tests de coronavirus ne peuvent être effectués y compris sur certains malades en raison de la saturation des laboratoires, les défunts sont considérés comme potentiellement porteurs du virus.

Les carrés musulmans dans les cimetières n’étant pas nombreux. Comment comptez-vous y faire face en tant qu’instance représentative du culte musulman en France ?

MM: Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation., j’ai adressé un courrier au président pour qu’il puisse rassurer les familles des défunts et leur éviter de faire face, en plus de la perte d’un être cher et la douleur du deuil, à l’éventualité de ne pas pouvoir inhumer leurs défunts dans les conditions qu’elles souhaitaient l’accomplir. J’ai également sollicité le soutien des responsables des autres cultes dans le cadre de la Conférence des Responsables de culte de France (CRCF). Et à ce titre, je tiens à saluer leur réactivité et leur élan de solidarité fraternel.  Dans ces circonstances exceptionnelles et combien difficiles, la création de nouveaux espaces de sépultures serait une nécessité et un acte symbolique fort qui fera date dans l’histoire de notre pays.

Au-delà de cette situation exceptionnelle, n’est-il pas temps que la France  accorde à la communauté musulmane le droit à un cimetière, alors que des personnes issues de l’immigration souhaitent  de plus en plus  être enterrées en France auprès de leurs proches ?

M.M: Cette tendance est un signe fort d’appartenance à une communauté de destin, même si elle ne s’est pas encore totalement substituée à la tendance lourde qui consiste à rapatrier les dépouilles vers le pays d’origine. Ce rapatriement qui se fait souvent dans la douleur et le déchirement est suscité parfois par l’impossibilité pour les familles d’inhumer leur défunt en France dans le respect des règles rituelles musulmanes, notamment, celles liées à l’orientation des sépultures.

L’orientation vers La Mecque des tombes, exigée par la tradition musulmane, a été accueillie favorablement par les pouvoirs publics qui par une interprétation ouverte du principe de laïcité ont permis de regrouper, au sein des cimetières communaux, les sépultures musulmanes dans un même emplacement.

En effet, trois circulaires du Ministère de l’Intérieur, notamment celle du 19 février 2008, ont apporté des précisions utiles à l’application de loi du 14 novembre 1881. Pour rappel, cette dernière pose l’interdiction d’établir une séparation dans les cimetières communaux à raison de la différence des cultes. Le groupement des sépultures permet de rendre ainsi compatible le principe de laïcité, le respect d’une exigence du rite musulman et une meilleure gestion du foncier.

La création du cimetière musulman de Strasbourg en février 2012, a été rendu possible par une application ouverte du droit local de l’Alsace-Moselle (concordat). Le manque des carrés musulmans dans les cimetières est une réalité et une préoccupation des musulmans de France. De  nombreuses familles sont contraintes à des choix douloureux et difficiles, alors qu’elles doivent, en même temps, confronter la perte d’un être cher. un bilan des applications des textes en vigueur est aujourd’hui nécessaire pour envisager les mesures à prendre pour assurer leur meilleure mise en œuvre.

La tradition musulmane prévoit l’inhumation à pleine terre du corps du défunt. Conformément à la réglementation en vigueur, les musulmans de France se sont adaptés à l’utilisation du cercueil. De même le rite musulman prévoit une concession à perpétuité. Or le manque de place dans les cimetières a poussé de très nombreuses villes françaises d’arrêter de proposer ce type de concessions.

Il appartient aux musulmans de réfléchir à des solutions alternatives et en discuter avec les Maires chargés de la gestion des cimetières.

Le cimetière musulman de Strasbourg propose déjà des concessions de type familial comme solution. La possibilité qu’une tombe puisse être partagée par plusieurs défunts de générations successives pourrait être envisageable sous plusieurs formes.

Le CFCM entend demander aux municipalités de le saisir systématiquement dans le cas d’une difficulté de contacter la famille à expiration de la durée de concession.  A charge au CFCM de créer un fond dédié au renouvellement des concessions pour les pérenniser.

 

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