Le Pen, l’immigration et les salaires (Libération)

Dans sa volonté de crédibiliser son parti, la leader frontiste entend s’appuyer sur les travaux d’experts et les études officielles. Elle en fait un usage parfois peu rigoureux

INTOX

Marine Le Pen le répète : le «FN nouveau» qu’elle entend propulser au pouvoir est un parti sérieux, qui se nourrit de travaux d’experts. Ainsi, quand Le Pen dénonce les méfaits de l’immigration, elle le fait désormais en s’appuyant sur des rapports officiels. Sur BFM TV, le 14 février, elle déclare : «Il y a un rapport du Conseil d’analyse économique(CAE) qui date de juin 2009 et qui dit que la hausse de 1% de l’immigration entraîne la baisse de 1,2% des salaires.» Le 20 février, sur France Inter, elle récidive : «Dans un rapport extrêmement sérieux, on indique que 1% d’immigration supplémentaire, ça entraîne 1,2% de baisse des salaires en France.» Puis, le 11 mars, lors d’un meeting à Bompas (Pyrénées-Orientales) : «Comme l’ont confirmé toutes les études, 1% d’immigration en plus, c’est 1,2% de salaires en moins.» Le chiffre a été jugé suffisamment éloquent par Marine Le Pen pour qu’elle décide même de le faire figurer dans les éléments de langage que le FN a distribués à ses candidats pour les cantonales (lire le document qu’a rendu public Rue 89).

DESINTOX

Accordons un bon point (ce sera le seul) à la présidente du FN : le chiffre qu’elle cite se trouve bien dans un rapport du CAE daté de juin 2009. Ce dernier, qui traite de l’impact économique de l’immigration, consacre quelques pages aux études empiriques sur le sujet. On y trouve mention (p.37) d’une étude des économistes américains Altonji et Card (1991), qui aboutissent à la conclusion qu’une augmentation du nombre d’immigrés correspondant à 1% de la force de travail totale (ce qui n’est pas la même chose qu’une «hausse de 1% de l’immigration», comme le simplifie Le Pen) réduit de 1,2% le salaire des moins qualifiés (et pas les salaires en général, comme le rapporte Le Pen), et réduit également le taux de chômage de 0,25% (ce dont Marine Le Pen ne parle pas). Mais cette lecture approximative et partielle n’est pas l’essentiel.

Le deuxième étage de la manipulation consiste à piocher une étude particulière pour en faire une vérité générale. Admirons le glissement dans les propos de la patronne du FN, qui en arrive à affirmer que «toutes les études confirment» sa statistique. Le Pen aurait par exemple pu citer d’autres travaux mentionnés dans le rapport du CAE, comme ceux de LaLonde et Topel, qui trouvent eux que «l’immigration de travailleurs peu qualifiés réduit essentiellement le salaire d’autres immigrés peu qualifiés et que l’effet est faible». Interrogé, l’auteur du rapport, Gilles Saint-Paul, explique qu’en théorie «toute hausse de l’offre d’une certaine catégorie de travailleurs crée une pression à la baisse sur les salaires de cette catégorie de travailleurs, tout en bénéficiant aux travailleurs complémentaires. Mais il existe de nombreuses études empiriques sur les effets de l’immigration sur les salaires. Certaines trouvent un effet nul ou faible, d’autres des effets négatifs sur les catégories de travailleurs les plus exposées à la concurrence des migrants». Marine Le Pen a donc seulement choisi l’étude qui lui seyait le plus.

Ajoutons qu’elle a fait un choix mal inspiré. Car les travaux d’Altonji et Card portent sur les Etats-Unis, et leurs résultats ne peuvent être transposés à la France, en raison des caractéristiques du marché hexagonal (rigidités salariales, salaire minimum). Ce point est soulevé en annexe du rapport par Antoine Magnier, directeur de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) : «Il faut rester assez prudent sur les enseignements – pour les pays européens – qu’on peut tirer des études menées sur des données américaines, dans un contexte où nos marchés du travail et nos marchés de biens et services sont réputés moins souples qu’aux Etats-Unis.» Gilles Saint-Paul n’en disconvient pas : «Dans un pays marqué par les rigidités salariales, comme la France, on s’attendrait à un effet moindre sur les salaires et un effet à la hausse sur le chômage.» Morale de l’histoire : il ne suffit pas de puiser un chiffre dans un rapport «sérieux». Encore faut-il que le traitement qu’on en fait le soit aussi.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite