C’est à Davos, temple mondial du libéralisme, que le locataire de Bercy a porté vendredi sa nouvelle estocade. Interrogé par des journalistes, le ministre s’est dit favorable à ce que les heures supplémentaires soient "beaucoup moins" majorées, "voire pas du tout", dans le cadre de négociations au sein des entreprises.
"Si vous pouvez négocier des accords majoritaires au niveau de l’entreprise pour n’avoir presque aucune surcompensation, cela veut dire que vous pouvez créer plus de flexibilité", a précisé M. Macron, reconnaissant qu’une telle situation signerait "de facto" la fin des 35 heures.
Ce pavé dans la mare, lancé en plein débat sur la réforme du droit du travail portée par sa collègue Myriam El Khomri, a suscité des réactions hostiles au sein du parti socialiste, où la mesure phare du gouvernement Jospin fait figure de totem.
"On ne va pas faire en sorte que les gens travaillent plus en gagnant moins! Ce sont des débats du siècle dernier", s’est agacée la maire de Paris, Anne Hidalgo. "Les 35 heures ont permis d’améliorer la productivité de l’économie française" et vont "dans le sens de l’histoire", a ajouté le député Thomas Thévenoud.
– Coups d’éclat –
Déjà en août 2014, Emmanuel Macron avait irrité la gauche en estimant, dans une interview accordée peu avant sa nomination, qu’il fallait "autoriser les entreprises et les branches, dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunérations".
Un message réitéré lors de l’université d’été du Medef, un an plus tard: la gauche "a pu croire à un moment, il y a longtemps, que la politique se faisait contre les entreprises" et "que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. C’étaient des fausses idées", avait-il avancé.
Des coups d’éclat à l’origine de polémiques répétées…mais sans réels effets – jusqu’à présent – sur la législation en vigueur sur le temps de travail.
La réforme El Khomri, qui sera présentée le 9 mars, "ne remettra pas en cause la durée légale", a ainsi tranché le Premier ministre Valls, lors de la remise lundi d’un rapport par l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter, énumérant 61 "principes essentiels" devant régir le futur Code du travail.
"Il faut que les heures supplémentaires soient majorées et elles seront toujours majorées (…) Sinon, ce n’est pas la fin des 35 heures, c’est la fin de la durée légale", a-t-il développé, fermant la porte à la proposition d’Emmanuel Macron de supprimer le plancher de majoration de 10% des heures supplémentaires.
– "Transgression" –
Un constat d’échec pour le jeune ministre, désireux de briser les "tabous" sur des sujets qu’il juge figés ? Emmanuel Macron, depuis son arrivée à Bercy, a certes fait vivre le débat, mais sans faire vraiment bouger les lignes politiques.
"On voit bien qu’il est paralysé dans ce gouvernement, en tout cas qu’il ne peut pas mettre en oeuvre des idées qu’il a et que, parfois, nous pourrions partager", a estimé le président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde.
Pour Philippe Brauld, professeur à Sciences Po, la stratégie de transgression du ministre de l’Economie ne peut toutefois pas être perçue comme un "échec", s’agissant d’une "stratégie de long terme". "Il y a une forme d’usure: plus il attaque les 35 heures, plus les réactions hostiles s’affaiblissent", analyse-t-il auprès de l’AFP.
Alors qu’il dispute à son ministre de l’Economie le rôle de porte-drapeau du réformisme à gauche, Manuel Valls a estimé lundi que la dérogation à la durée légale du temps de travail n’était d’ores et déjà "plus une transgression", rappelant avoir lui-même appelé "il y a cinq ans" à "déverrouiller les 35 heures".
Un message repris par Emmanuel Macron, qui a tenu lundi depuis Moscou à se mettre au diapason de Matignon. "Parler de la dérogation des 35 heures n’est pas une transgression, puisque c’est une réalité", a-t-il affirmé, précisant avoir livré à Davos sa "conviction", "qui est qu’on peut trouver des flexibilités accrues par des accords au niveau de l’entreprise".