De Gaulle au bac : la polémique
Les «Mémoires de guerre» seront au programme du bac littéraire 2010-2011. Un syndicat d’enseignants crie au scandale.
Reste à choisir le dernier auteur pour la partie «littérature et débats d’idées». L’un des cinq inspecteurs propose le général de Gaulle et ses Mémoires de guerre. L’idée séduit les quatre autres:cela tombe bien, les lycéens devraient beaucoup entendre parler du Général à l’occasion des commémorations de l’appel du 18 juin. En outre, cette année a été l’occasion de différents débats tournant autour des liens entre l’histoire et la littérature. On opte donc pour le tome III, Le Salut, 1944-1946, sans doute le meilleur. On est bien loin d’imaginer ce jour-là que ce choix apparemment évident va susciter la polémique.
Le 14 janvier 2010, le programme est communiqué par le Bulletin officiel de l’Éducation nationale. Il se passe quelques jours sans réactions. Mais bientôt, une polémique naît, qui va atteindre son paroxysme le 15 mai dernier avec le lancement d’une pétition initiée par le Snes (le Syndicat national des enseignements du second degré, classé à gauche). Internet sert de relais avec un site dédié à ce sujet et de nombreux blogs. Le bulletin du Snes y consacre son éditorial. Un collectif composé de professeurs de lettres est créé et n’y va pas par quatre chemins: il demande purement et simplement la suppression de De Gaulle du programme !
Un ton idéologique
Pour quelles raisons ? «Proposer de Gaulle aux élèves est tout bonnement une négation de notre discipline» , est-il écrit dans la pétition sous la signature de Claude Jaëcklé-Plunian, agrégée de lettres. Et d’ajouter:«Nul ne songe à discuter l’importance historique de l’écrit de De Gaulle:la valeur du témoignage est à proportion de celle de témoin. Mais enfin, de quoi parlons-nous ? De littérature ou d’histoire? Nous sommes professeurs de lettres. Avons-nous les moyens, est-ce notre métier, de discuter une source historique ? D’en dégager le souffle de propagande mobilisateur de conscience nationale ? Car il s’agit bien de cela : aucun thuriféraire du Général ne songerait à comparer l’écriture des Mémoires de guerre au style et à la portée de tout autre mémorialiste si l’on veut rester dans ce genre littéraire…»
Du côté de la commission, on explique d’abord que la période historique en question est étudiée par les élèves de première – il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter de la mise en perspective historique. Quant à la valeur littéraire des Mémoires de guerre , elle ne se discute pas . Personne n’avait contesté l’entrée dans la très littéraire collection «La Pléiade» du chef de la France libre, voilà dix ans.
En 1994, le choix de l’Éducation nationale de mettre au menu du bac Aimé Césaire et son Cahier d’un retour au pays natal (qui contient le fameux Discours sur le colonialisme…) avait déjà suscité la controverse. Où finit la littérature, où commence la politique ? Pour la petite histoire, Quignard, qui partage avec de Gaulle l’honneur d’être au programme, avait pris parti contre ce dernier le 13 mai 1958, affirmant qu’il s’agissait d’un coup d’État !
Pourquoi le cacher ? Cette polémique s’inscrit dans un climat de tension entre le syndicat et l’Inspection générale de l’Éducation nationale. Elle prospère dans un contexte de malaise et de mécontentement plus large. D’ailleurs, le ton de la pétition s’est rapidement fait plus politique – voire idéologique. Ses instigateurs soupçonnent l’Inspection d’avoir fait ce choix de De Gaulle pour «flatter la couleur politique du pouvoir en place». À cette récrimination, ils mêlent des revendications et des doléances catégorielles, parmi lesquelles la dénonciation d’une éventuelle réduction du nombre d’heures consacrées à l’enseignement des lettres. Le 17 mai dernier, la pétition, qui aurait recueilli 1 500 signatures (professeurs et non-enseignants), est envoyée à Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, avec copie à l’Inspection générale. Elle comporte «la demande réitérée de revenir sur ce programme absurde et déséquilibré» !
Les professeurs qui ne partagent pas cette position dénoncent un conflit qui n’a rien à voir avec l’enseignement de la littérature. D’autres vont encore plus loin:«Si Marx ou La Paille et le Grain (un texte de François Mitterrand, NDLR) avaient été choisis, il n’y aurait pas eu de polémique… Et Beckett, ce n’est pas politique ?»
Qu’aurait pensé le général de Gaulle de cette «guéguerre» ? Au hasard : «Chaque remous met en action les équipes diverses de la hargne, de la rogne et de la grogne»…
Mohammed Aissaoui