Comment le Maroc verrouille le Moyen-Orient arabe

Comment le Maroc verrouille le Moyen-Orient arabe
Après une première période où la tempête avait semblé balayer l’ensemble du monde arabe ; après un second moment où la consolidation des changements a surtout bénéficié au courant islamiste, notamment aux Frères musulmans égyptiens, il semble bien que nous soyons entrés dans une troisième période marquée par de grandes manoeuvres diplomatiques et stratégiques. L’événement le plus apparent dans cette période aura été, à l’évidence, la visite de l’émir du Qatar Hamad Thani à Gaza. Certes, sa démarche semble conforter la direction du Hamas palestinien dans son épreuve de force permanente avec l’Autorité palestinienne qui, on l’a un peu oublié, avait été l’un des derniers soutiens affirmés d’Hosni Moubarak de janvier 2011.Mais la véritable signification de cette visite est avant tout le coup d’arrêt que les Qataris ont voulu porter à l’influence iranienne encore présente dans ce territoire enclavé entre l’Égypte et Israël et soumis aux vents violents les plus divers. La direction du Hamas avait jusqu’au début de l’insurrection syrienne maintenu d’excellents rapports avec l’Iran en général et son bras armé local, le Hezbollah libanais en particulier. Tout cela est bel et bien fini : le leader historique Khaled Mechaal a déménagé à la cloche de bois de Damas dès l’hiver 2012 et s’est réinstallé au Qatar. Son alter ego local, Haniyeh, s’est depuis lors prêté à une tournée triomphale organisée évidemment par le Qatar et qui l’aura conduit jusqu’à Bahreïn pour y donner l’accolade à la famille régnante et sanctionner de son tout récent enthousiasme la répression des chiites, qui y règne.Ce grand retournement du Hamas bénéficie évidemment au nouveau camp sunnite qui s’est constitué peu à peu avec l’explosion syrienne. Du coup, l’antagonisme autrefois palpable entre le Qatar et l’Arabie saoudite s’est considérablement réduit. Il est vrai que la retraite, pour raisons de santé, du roi Abdallah, libéral notoire aux sympathies prosyriennes constantes et partisan d’un relèvement politique de la minorité chiite saoudienne, aura de facto considérablement rapproché les vues de la branche aînée saoudienne et de la branche cadette qatarie du wahhabisme péninsulaire. Mais, si le rapprochement est bien réel, chacun demeure pourtant avec son propre réseau d’alliances et sa propre vision de l’avenir. Le Qatar a jeté son dévolu depuis des années sur le mouvement des Frères musulmans égyptiens, lequel bénéficie particulièrement de l’appui de la chaîne de télévision al-Jazirah. C’est ici que la diplomatie marocaine, en étroite alliance avec la monarchie jordanienne, a marqué un point essentiel. Les Saoudiens en effet ont accordé leur protection pleine et entière à une Jordanie où l’opposition islamiste, pour divisée et incertaine qu’elle soit, n’en est pas moins puissante. Le Hamas, cela va de soi, soutient les islamistes jordaniens contre le roi, l’Autorité palestinienne et, bien sûr, Israël. En obtenant un véritable contrat d’alliance stratégique, sanctionné par une aide financière importante, le Maroc a réussi pleinement à verrouiller la situation au Machrek. Les Saoudiens, en reprenant en main le Conseil de coopération du Golfe arabe, ont en effet réussi à réintégrer le Qatar dans le jeu, tout en réduisant sa marge de manoeuvre. Seule puissance militaire crédible actuelle dans la région, le Maroc pourrait en cas de crise grave prêter main-forte à l’Arabie saoudite, que ce soit en Jordanie ou ailleurs. Au total, tout en intégrant les islamistes dans une combinaison gouvernementale qui a provoqué l’apaisement intérieur, le Maroc ne renonce nullement à une politique étrangère subtile. Car, sans les combattre explicitement, les Saoudiens ont su trouver dans le camp sunnite un contrepoids, sans doute étendu au gouvernement libyen actuel, à l’hégémonie régionale potentielle de l’islamisme égypto-tunisien. La gravité de la situation syrienne ne permet en effet pas au Qatar de faire cavalier seul. Et le bloc chiite Iran-Syrie-Hezbollah est trop isolé sur le plan politique pour fissurer l’actuel consensus arabe. Ayant ainsi consolidé son image de puissance arabe modérée et militairement performante, le Maroc conserve ainsi, avec l’appui saoudien, les moyens d’affirmer sa personnalité dans le Maghreb, et, peut-être, de peser positivement sur un processus de succession en Algérie qui demeure bien opaque. En somme, le Moyen-Orient arabe a bien besoin d’un pôle de stabilité comme le Maroc, pour pouvoir traverser sans encombres supplémentaires l’une des périodes les plus troublées de son histoire récente.

Alexandre Adler

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